plaisir à promener sa main. C'était avec cet organe explorateur 
qu'il s'assurait presque toujours du degré de cuisson de ses pommes de 
terre, quand, les retirant du pot avec une cuiller, il y appliquait ses 
doigts à plusieurs reprises, et se décidait, d'après l'état de mollesse ou 
de résistance qu'elles présentaient, à les manger ou à les rejetter dans 
l'eau bouillante. Quand on lui donnait un flambeau à allumer avec du 
papier, il n'attendait pas toujours que le feu eût pris à la mêche, pour 
rejetter avec précipitation le papier dont la flamme était encore bien 
éloignée de ses doigts. Si on l'excitait à pousser ou à porter un corps, 
tant soit peu résistant ou pesant, il lui arrivait quelquefois de le laisser 
là tout-à-coup, de regarder le bout de ses doigts, qui n'étaient 
assurément ni meurtris ni blessés, et de poser doucement la main dans 
l'ouverture de son gilet. L'odorat avait aussi gagné à ce changement. La 
moindre irritation portée sur cet organe provoquait l'éternuement; et je 
jugeai, par la frayeur dont il fut saisi la première fois que cela arriva, 
que c'était pour lui une chose nouvelle. Il fut, de suite, se jeter sur son 
lit. 
Le raffinement du sens du goût était encore plus marqué. Les alimens 
dont cet enfant se nourrissait peu de tems après son arrivée à Paris, 
étaient horriblement dégoûtans. Il les traînait dans tous les coins et les 
paîtrissait avec ses mains, pleines d'ordures. Mais à l'époque dont je 
parle, il lui arrivait souvent de rejeter avec humeur tout le contenu de 
son assiète, dès qu'il y tombait quelque substance étrangère; et lorsqu'il 
avait cassé ses noix sous ses pieds, il les nétoyait avec tous les détails 
d'une propreté minutieuse. 
Enfin les maladies, les maladies même, ces témoins irrécusables et 
fâcheux de la sensibilité prédominante de l'homme civilisé, vinrent 
attester ici le développement de ce principe de vie. Vers les premiers 
jours du printems, notre jeune sauvage eut un violent corysa, et
quelques semaines après, deux affections catarrhales presque 
succédanées. 
Néanmoins ces résultats ne s'étendirent pas à tous les organes. Ceux de 
la vue et de l'ouie n'y participèrent point; sans doute parce que ces deux 
sens, beaucoup moins simples que les autres, avaient besoin d'une 
éducation particulière et plus longue, ainsi qu'on le verra par la suite. 
L'amélioration simultanée des trois sens, par suite des stimulans portés 
sur la peau, tandis que ces deux derniers étaient restés stationnaires, est 
un fait précieux, digne d'être présenté à l'attention des physiologistes. Il 
semble prouver, ce qui paraît d'ailleurs assez vraisemblable, que les 
sens du toucher, de l'odorat et du goût ne sont qu'une modification de 
l'organe de la peau; tandis que ceux de l'ouie et de la vue, moins 
extérieurs, revêtus d'un appareil physique des plus compliqués, se 
trouvent assujettis à d'autres règles de perfectionnement, et doivent, en 
quelque sorte, faire une classe séparée. 
§. III. 
IIIe VUE. Étendre la sphère de ses idées en lui donnant des besoins 
nouveaux, et en multipliant ses rapports avec les êtres environnans. 
Si les progrès de cet enfant vers la civilisation, si mes succès pour les 
développemens de son intelligence ont été jusqu'à présent si lents et si 
difficiles, je dois m'en prendre sur-tout aux obstacles sans nombre que 
j'ai rencontrés, pour remplir cette troisième vue. Je lui ai présenté 
successivement des jouets de toute espèce; plus d'une fois, pendant des 
heures entières, je me suis efforcé de lui en faire connaître l'usage; et 
j'ai vu avec peine, que, loin de captiver son attention, ces divers objets 
finissaient toujours par lui donner de l'impatience, tellement qu'il en 
vint au point de les cacher, ou de les détruire, quand l'occasion s'en 
présentait. C'est ainsi qu'après avoir long-tems renfermé dans une 
chaise percée un jeu de quilles, qui lui avait attiré de notre part 
quelques importunités, il prit, un jour qu'il était seul dans sa chambre, 
le parti de les entasser dans le foyer, devant lequel on le trouva se 
chauffant avec gaîté à la flamme de ce feu de joie. 
Cependant, je parvins quelquefois à l'attacher à certains amusemens qui
avaient du rapport avec les besoins digestifs. En voici un, par exemple, 
que je lui procurais souvent à la fin du repas, quand je le menais dîner 
en ville. Je disposais devant lui, sans aucun ordre symétrique et dans 
une position renversée, plusieurs petits gobelets d'argent, sous l'un 
desquels je plaçais un marron. Bien sûr d'avoir attiré son attention, je 
les soulevais l'un après l'autre, excepté celui qui renfermait le marron. 
Après lui avoir ainsi démontré qu'ils ne contenaient rien, et les avoir 
replacés dans le même ordre, je l'invitais par signes à chercher à son 
tour. Le premier gobelet sur lequel tombaient ses perquisitions, était 
précisément celui sous lequel j'avais caché la petite récompense due à 
son attention. Jusques-là    
    
		
	
	
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