dis-je, était assise devant son 
feu par une matinée claire et froide du mois de mars. Triste et timide, 
elle se disait qu'elle succomberait probablement à l'épreuve qui 
l'attendait, lorsqu'en levant les yeux pour essuyer ses larmes, elle vit 
arriver par le jardin une femme qu'elle ne connaissait pas. 
Au second coup d'oeil, ma mère eut un pressentiment certain que c'était 
miss Betsy. Les rayons du soleil couchant éclairaient à la porte du 
jardin toute la personne de cette étrangère, elle marchait d'un pas trop 
ferme et d'un air trop déterminé pour que ce pût être une autre que 
Betsy Trotwood. 
En arrivant devant la maison, elle donna une autre preuve de son 
identité. Mon père avait souvent fait entendre à ma mère que sa tante ne 
se conduisait presque jamais comme le reste des humains; et voilà en 
effet qu'au lieu de sonner à la porte, elle vint se planter devant la 
fenêtre, et appuya si fort son nez contre la vitre qu'il en devint tout 
blanc et parfaitement plat au même instant, à ce que m'a souvent 
raconté ma pauvre mère. 
Cette apparition porta un tel coup à ma mère que c'est à miss Betsy, j'en 
suis convaincu, que je dois d'être né un vendredi. 
Ma mère se leva brusquement et alla se cacher dans un coin derrière sa 
chaise. Miss Betsy après avoir lentement parcouru toute la pièce du 
regard, en roulant les yeux comme le font certaines têtes de Sarrasin 
dans les horloges flamandes, aperçut enfin ma mère. Elle lui fit signe 
d'un air refrogné de venir lui ouvrir la porte, comme quelqu'un qui a 
l'habitude du commandement. Ma mère obéit. 
«Mistress David Copperfield, je suppose, dit miss Betsy en appuyant 
sur le dernier mot, sans doute pour faire comprendre que sa supposition 
venait de ce qu'elle voyait ma mère en grand deuil, et sur le point 
d'accoucher. 
-- Oui, répondit faiblement ma mère.
-- Miss Trotwood, lui répliqua-t-on; vous avez entendu parler d'elle, je 
suppose?» 
Ma mère dit qu'elle avait eu ce plaisir. Mais elle sentait que malgré elle, 
elle laissait assez voir que le plaisir n'avait pas été immense. 
«Eh bien! maintenant vous la voyez,» dit miss Betsy. Ma mère baissa la 
tête et la pria d'entrer. 
Elles s'acheminèrent vers la pièce que ma mère venait de quitter; depuis 
la mort de mon père, on n'avait pas fait de feu dans le salon de l'autre 
côté du corridor; elles s'assirent, miss Betsy gardait le silence; après de 
vains efforts pour se contenir, ma mère fondit en larmes. 
«Allons, allons! dit miss Betsy vivement, pas de tout cela! venez ici.» 
Ma mère ne pouvait que sangloter sans répondre. 
«Ôtez votre bonnet, enfant, dit miss Betsy, il faut que je vous voie.» 
Trop effrayée pour résister à cette étrange requête, ma mère fit ce qu'on 
lui disait; mais ses mains tremblaient tellement qu'elle détacha ses 
longs cheveux en même temps que son bonnet. 
«Ah! bon Dieu! s'écria miss Betsy, vous n'êtes qu'un enfant!» 
Ma mère avait certainement l'air très-jeune pour son âge; elle baissa la 
tête, pauvre femme! comme si c'était sa faute, et murmura, au milieu de 
ses larmes, qu'elle avait peur d'être bien enfant pour être déjà veuve et 
mère. Il y eut un moment de silence, pendant lequel ma mère s'imagina 
que miss Betsy passait doucement la main sur ses cheveux; elle leva 
timidement les yeux: mais non, la tante était assise d'un air rechigné 
devant le feu, sa robe relevée, les mains croisées sur ses genoux, les 
pieds posés sur les chenets. 
«Au nom du ciel, s'écria tout d'un coup miss Betsy, pourquoi l'appeler 
rookery[1]? 
-- Vous parlez de cette maison, madame? demanda ma mère.
-- Oui, pourquoi l'appeler Rookery? Vous l'auriez appelé cookery[2], 
pour peu que vous eussiez eu de bon sens, l'un ou l'autre. 
-- M. Copperfield aimait ce nom, répondit ma mère. Quand il acheta 
cette maison, il se plaisait à penser qu'il y avait des nids de corbeaux 
dans les alentours.» 
Le vent du soir s'élevait, et les vieux ormes du jardin s'agitaient avec 
tant de bruit, que ma mère et miss Betsy jetèrent toutes deux les yeux 
de ce côté. Les grands arbres se penchaient l'un vers l'autre, comme des 
géants qui vont se confier un secret, et qui, après quelques secondes de 
confidence, se relèvent brusquement, secouant au loin leurs bras 
énormes, comme si ce qu'ils viennent d'entendre ne leur laissait aucun 
repos: quelques vieux nids de corbeaux, à moitié détruits par les vents, 
ballottaient sur les branches supérieures, comme un débris de navire 
bondit sur une mer orageuse. 
«Où sont les oiseaux? demanda miss Betsy. 
-- Les...?» Ma mère pensait à toute autre chose. 
«Les corbeaux?... où sont-ils passés? redemanda miss Betsy. 
-- Je n'en ai jamais vu ici, dit ma mère. Nous croyions, M. Copperfield 
avait    
    
		
	
	
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