comme un gage des faveurs plus grandes que je te
destine:--fais sentir à ta maîtresse quelle est sa position; fais-le comme
de toi-même: songe quelle chance t'offre la fortune, songe seulement
que tu conserves toujours ta maîtresse, et de plus tu gagnes mon fils,
qui se souviendra de toi.... J'intéresserai le roi à ton avancement, quoi
que tu puisses désirer; et moi-même alors, moi surtout qui t'aurai mis
sur la voie de mériter les grâces, je m'engage à récompenser richement
ton mérite. Appelle mes femmes: songe à mes paroles. (_Pisanio sort._)
Un valet fin et fidèle qu'on ne peut ébranler: l'agent de son maître
auprès d'elle, et qui lui rappelle sans cesse de conserver sa main et sa
foi à son seigneur. Je lui ai fait là un don qui, s'il en fait usage, enlèvera
à la belle son émissaire auprès de son doux ami; et elle-même, dans la
suite, si elle ne plie pas son humeur, peut être sûre d'en goûter aussi.
(_Pisanio reparaît avec les dames, qui rapportent des paniers de fleurs._)
Fort bien, fort bien: portez dans mon cabinet ces violettes, ces
primevères, ces pervenches: adieu, Pisanio; songe à ce que je t'ai dit.
(La reine sort suivie de ses femmes.)
PISANIO _seul_.--J'y songerai, mais quand je deviendrai infidèle à
mon bon maître, je m'étoufferai de mes propres mains: c'est là tout ce
que je ferai pour toi.
(Il sort.)
SCÈNE VI
Un autre appartement du palais.
IMOGÈNE _seule_.
IMOGÈNE.--Un père cruel, une belle-mère perfide, un stupide
soupirant près d'une femme mariée, dont l'époux est banni: oh! mon
époux! le comble et la couronne de tous mes chagrins! et des vexations
qui se renouvellent à chaque instant!--Si j'avais été dérobée par des
voleurs, comme mes deux frères, je serais heureuse: mais malheureux
ceux que leurs désirs élèvent trop haut! Heureux, quelque humble que
soit leur état, ceux qui voient accomplir leurs modestes voeux que
chaque saison satisfait.... Quel peut être cet homme? Fi donc!
(Iachimo entre précédé par Pisanio.)
PISANIO.--Madame, un noble gentilhomme de Rome vous apporte des
lettres de mon maître.
IACHIMO.--Vous changez de couleur, madame? Le noble Léonatus est
en sûreté: il salue tendrement Votre Altesse.
(Il lui présente une lettre.)
IMOGÈNE.--Je vous remercie, bon seigneur: vous êtes le
très-bienvenu.
IACHIMO, _à part_.--Tout ce qu'elle laisse voir est parfait: si elle est
munie d'une âme aussi rare, c'est ici le phénix de l'Arabie, et j'ai perdu
la gageure. Hardiesse, sois mon amie; audace, arme-moi de pied en cap,
ou bien, comme le Parthe, je ne combattrai qu'en fuyant, ou plutôt je
fuirai sans avoir combattu.
IMOGÈNE, _lisant tout haut la lettre_.--_C'est un cavalier de la plus
haute distinction, et auquel de bons offices m'ont infiniment attaché.
Traitez-le en conséquence comme vous estimez votre fidèle_ Léonatus.
Je ne lis que cela tout haut; mais mon coeur est réchauffé jusqu'au fond
par le reste de la lettre: il est tout ému de reconnaissance.--Vous êtes le
bienvenu, digne seigneur, autant que peuvent l'exprimer mes paroles; et
vous l'éprouverez dans tout ce que je pourrai faire pour vous.
IACHIMO.--Je vous rends grâces, belle dame.--Eh quoi! les hommes
sont-ils insensés? La nature leur aura donné des yeux pour voir l'arche
voûtée des cieux et les richesses de la terre et des mers, pour distinguer
les globes enflammés sur nos têtes, et les pierres semées sur les rivages;
et avec des organes si précieux, nous ne pourrons pas faire la différence
de la laideur et de la beauté!
IMOGÈNE.--D'où vient votre étonnement?
IACHIMO.--Cela ne peut être la faute des yeux: des singes et des
guenons placés entre deux créatures semblables bavarderaient de ce
côté, et repousseraient l'autre par des grimaces. Ce n'est pas la faute du
jugement: l'idiot devant cette beauté saurait faire son choix. Ce n'est pas
la passion; car la laideur, mise à côté de cette beauté parfaite, exciterait
le désir à vomir à vide au lieu de le pousser à se satisfaire.
IMOGÈNE.--Quelle est donc la cause...?
IACHIMO.--Le vice blasé, ce désir rassasié mais non satisfait (comme
un vase plein et qui fuit), dévore d'abord l'agneau, et puis est avide de
charogne.
IMOGÈNE.--Quelle est donc, digne seigneur, la cause de votre
agitation? Êtes-vous bien?
IACHIMO.--Bien, merci, madame. (_A Pisanio_.) Ami, je vous prie,
ordonnez à mon serviteur de m'attendre là où je l'ai laissé: il est
étranger et susceptible.
PISANIO.--J'allais sortir, seigneur, pour lui faire accueil.
(Il sort.)
IMOGÈNE.--La santé de mon seigneur continue-t-elle à être bonne?
De grâce, dites-le-moi.
IACHIMO.--Bonne, madame.
IMOGÈNE.--Est-il disposé à la gaieté? J'espère qu'il l'est.
IACHIMO.--Excessivement gai: Rome n'a point d'étranger aussi jovial,
aussi folâtre: on l'appelle le _joyeux Anglais_.
IMOGÈNE.--Lorsqu'il était ici, il était enclin à la mélancolie, et
souvent sans savoir pourquoi.
IACHIMO.--Jamais je ne l'ai vu triste. Il y a un Français, son
compagnon, un _monsieur_ d'un rang éminent, qui aime fort à

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