grâce d'oublier votre beau _fantôme_ quand vous vous souviendrez 
de moi. Je suis attristée de la pensée de lui être comparée, je ne puis lui ressembler, moi 
qui n'ai peut-être rien d'aimable, et sûrement rien de brillant. Ne pensez à moi que comme 
à une personne simple et bonne qui vous aime de tout son coeur, parce qu'elle vous 
connaît trop bien pour pouvoir s'en empêcher! Voilà mes sentiments! Voilà aussi ceux 
que vous m'auriez accordés, s'il m'eût été donné de vivre près de vous! Il n'y aurait eu là 
ni déception ni mécompte, ni serrement de coeur comme ce soir. 
Si j'ai mal compris votre lettre, monsieur le vicomte, excusez-moi! Le sentiment de ma 
faute m'a peut-être trop alarmée; il est d'ailleurs facile de se tromper sur le sens d'une 
expression: les lettres n'ont malheureusement ni expression, ni regard. N'en recevrai-je 
pas bientôt une autre qui me rende le bonheur qui devrait être mon partage quand vous 
m'adressez le nom d'amie, et que vous voulez venir me chercher? et, si je la reçois, 
aurez-vous encore oublié le sujet qui m'est cher, vous et ceux que vous aimez? 
Si je recevrai votre visite? Sans doute: mon Dieu, oui! Mais comment avez-vous trouvé le 
moyen, comment avez-vous eu le pouvoir d'éteindre la joie qu'une nouvelle si inespérée 
devait me donner? et est-ce bien moi qui suis si triste en l'apprenant? 
Je devais aller aussi aux eaux des Pyrénées: la mauvaise santé de ma mère m'a empêchée 
d'aller y joindre M. de V... qui y a passé les deux derniers étés, et qui doit y retourner 
encore celui-ci. Je n'ai pas besoin de vous dire que j'avancerai ou reculerai mon voyage, 
ou que j'y renoncerai tout à fait, pour profiter de cette lueur que vous me promettez. Je 
me recommande à vous pour qu'elle me soit heureuse. 
Adieu, mon étoile chérie, je voudrais être réellement une de ces fées bienfaisantes dont 
vous plaisantez, ou plutôt, si j'étais une sainte, si j'avais quitté la vie, s'il m'était donné de 
choisir ma récompense, je voudrais devenir votre ange gardien. 
MARIE. 
 
VI 
_De M. de Chateaubriand_ 
Paris, 24 décembre 1827.
Il faut bien le dire à ma nouvelle amie, sa lettre m'a confondu. Moi, lui écrire des choses 
légères! la blesser! Je ne sais plus ce que j'ai écrit, mais je suis sûr qu'elle s'est trompée. 
Dans tous les cas, je proteste de la pureté, de la sincérité de mes intentions; et je supplie 
mon amie de ne pas commencer une correspondance orageuse. 
Elle me parle de l'estime qu'elle veut bien avoir pour moi. Est-ce que je lui demande autre 
chose? Aurait-elle vu dans l'histoire de mon fantôme une galanterie hors de saison pour 
moi? En vérité, j'en ai parlé dans toute la sincérité de mon coeur, dans toute la joie que 
j'éprouvais d'avoir trouvé, vers la fin de ma vie, quelqu'un qui consentît à avoir pour moi 
cette bienveillance dont les hommes, arrivés à l'âge où je suis, sont rarement entourés. Si 
je veux vous voir pleine de charme et de grâce, quel mal cela vous fait-il? Pourquoi 
voulez-vous que notre vieille amitié ne se pare pas des illusions de la jeunesse? Votre 
estime pour moi serait-elle un sentiment moins grave, si je veux, dans mon imagination, 
en faire quelque chose de plus tendre et de plus doux? Vous avez visiblement tort dans 
cette première querelle, et j'attends de vous une _réparation_ en forme. 
Mon projet des eaux est devenu presque une réalité, depuis que je sais que vous aviez 
pareil projet. Je vais vite en fait de chimères. 
Cette lettre arrivera à ma nouvelle amie au commencement de l'année nouvelle: c'est ce 
qu'elle a désiré. Je ne lui souhaite pas beaucoup de jours: je sens l'inconvénient de ce 
bagage que je traîne après moi. 
J'espère d'elle une meilleure lettre. 
CHATEAUBRIAND. 
 
VII 
_À M. de Chateaubriand_ 
H., 1er janvier 1828. 
La crainte d'avoir commis une faute devant vous, monsieur le vicomte, en vous écrivant 
la première; celle de vous avoir donné une fausse idée de moi; le regret d'être moins belle 
que votre trop belle chimère; et peut-être les inquiétudes d'un coeur souffrant, avaient 
sans doute contribué à me faire prendre le change sur vos expressions; mais j'ai surtout 
manqué de pénétration. 
En chérissant vos grandes qualités, je vous croyais cependant un coeur lassé 
d'impressions, de succès, et d'hommages. Je n'ai pu croire tout de suite à cette simplicité 
de coeur, à cette candeur véritablement adorable qui vous a fait accueillir si doucement 
mon affection timide: elle venait pourtant à vous sans autre cortège que sa tendresse et sa 
sincérité. 
Ô mon maître chéri, oubliez cette injustice involontaire, et laissez à votre reconnaissante
disciple le soin de la réparer en vous aimant encore davantage! Ne craignez pas une 
correspondance orageuse! Croyez-moi, mon ami, Dieu    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.