Correspondance de Chateaubriand avec la marquise de V... | Page 9

Francois-René de Chateaubriand et Marie-Louise de Vichet
grâce d'oublier votre beau _fantôme_ quand vous vous souviendrez
de moi. Je suis attristée de la pensée de lui être comparée, je ne puis lui ressembler, moi
qui n'ai peut-être rien d'aimable, et sûrement rien de brillant. Ne pensez à moi que comme
à une personne simple et bonne qui vous aime de tout son coeur, parce qu'elle vous
connaît trop bien pour pouvoir s'en empêcher! Voilà mes sentiments! Voilà aussi ceux
que vous m'auriez accordés, s'il m'eût été donné de vivre près de vous! Il n'y aurait eu là
ni déception ni mécompte, ni serrement de coeur comme ce soir.
Si j'ai mal compris votre lettre, monsieur le vicomte, excusez-moi! Le sentiment de ma
faute m'a peut-être trop alarmée; il est d'ailleurs facile de se tromper sur le sens d'une
expression: les lettres n'ont malheureusement ni expression, ni regard. N'en recevrai-je
pas bientôt une autre qui me rende le bonheur qui devrait être mon partage quand vous
m'adressez le nom d'amie, et que vous voulez venir me chercher? et, si je la reçois,
aurez-vous encore oublié le sujet qui m'est cher, vous et ceux que vous aimez?
Si je recevrai votre visite? Sans doute: mon Dieu, oui! Mais comment avez-vous trouvé le
moyen, comment avez-vous eu le pouvoir d'éteindre la joie qu'une nouvelle si inespérée
devait me donner? et est-ce bien moi qui suis si triste en l'apprenant?
Je devais aller aussi aux eaux des Pyrénées: la mauvaise santé de ma mère m'a empêchée
d'aller y joindre M. de V... qui y a passé les deux derniers étés, et qui doit y retourner
encore celui-ci. Je n'ai pas besoin de vous dire que j'avancerai ou reculerai mon voyage,
ou que j'y renoncerai tout à fait, pour profiter de cette lueur que vous me promettez. Je
me recommande à vous pour qu'elle me soit heureuse.
Adieu, mon étoile chérie, je voudrais être réellement une de ces fées bienfaisantes dont
vous plaisantez, ou plutôt, si j'étais une sainte, si j'avais quitté la vie, s'il m'était donné de
choisir ma récompense, je voudrais devenir votre ange gardien.
MARIE.

VI
_De M. de Chateaubriand_
Paris, 24 décembre 1827.

Il faut bien le dire à ma nouvelle amie, sa lettre m'a confondu. Moi, lui écrire des choses
légères! la blesser! Je ne sais plus ce que j'ai écrit, mais je suis sûr qu'elle s'est trompée.
Dans tous les cas, je proteste de la pureté, de la sincérité de mes intentions; et je supplie
mon amie de ne pas commencer une correspondance orageuse.
Elle me parle de l'estime qu'elle veut bien avoir pour moi. Est-ce que je lui demande autre
chose? Aurait-elle vu dans l'histoire de mon fantôme une galanterie hors de saison pour
moi? En vérité, j'en ai parlé dans toute la sincérité de mon coeur, dans toute la joie que
j'éprouvais d'avoir trouvé, vers la fin de ma vie, quelqu'un qui consentît à avoir pour moi
cette bienveillance dont les hommes, arrivés à l'âge où je suis, sont rarement entourés. Si
je veux vous voir pleine de charme et de grâce, quel mal cela vous fait-il? Pourquoi
voulez-vous que notre vieille amitié ne se pare pas des illusions de la jeunesse? Votre
estime pour moi serait-elle un sentiment moins grave, si je veux, dans mon imagination,
en faire quelque chose de plus tendre et de plus doux? Vous avez visiblement tort dans
cette première querelle, et j'attends de vous une _réparation_ en forme.
Mon projet des eaux est devenu presque une réalité, depuis que je sais que vous aviez
pareil projet. Je vais vite en fait de chimères.
Cette lettre arrivera à ma nouvelle amie au commencement de l'année nouvelle: c'est ce
qu'elle a désiré. Je ne lui souhaite pas beaucoup de jours: je sens l'inconvénient de ce
bagage que je traîne après moi.
J'espère d'elle une meilleure lettre.
CHATEAUBRIAND.

VII
_À M. de Chateaubriand_
H., 1er janvier 1828.
La crainte d'avoir commis une faute devant vous, monsieur le vicomte, en vous écrivant
la première; celle de vous avoir donné une fausse idée de moi; le regret d'être moins belle
que votre trop belle chimère; et peut-être les inquiétudes d'un coeur souffrant, avaient
sans doute contribué à me faire prendre le change sur vos expressions; mais j'ai surtout
manqué de pénétration.
En chérissant vos grandes qualités, je vous croyais cependant un coeur lassé
d'impressions, de succès, et d'hommages. Je n'ai pu croire tout de suite à cette simplicité
de coeur, à cette candeur véritablement adorable qui vous a fait accueillir si doucement
mon affection timide: elle venait pourtant à vous sans autre cortège que sa tendresse et sa
sincérité.
Ô mon maître chéri, oubliez cette injustice involontaire, et laissez à votre reconnaissante

disciple le soin de la réparer en vous aimant encore davantage! Ne craignez pas une
correspondance orageuse! Croyez-moi, mon ami, Dieu
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