Contes merveilleux, Tome II | Page 2

Hans Christian Andersen
Si mon Ombre avait assez d'esprit pour entrer voir ce qui se passe à l'intérieur et
venir me le redire.... Oui, continua-t-il, en s'adressant par plaisanterie à l'Ombre, fais-moi
donc le plaisir d'entrer là. Cela te va-t-il? Et en même temps, il fit un mouvement de tête
que l'Ombre répéta comme si elle disait: «oui.»
--Eh bien, c'est cela, reprit-il; mais ne t'oublie pas et reviens me trouver. À ces mots, il se
leva, rentra dans la chambre et laissa retomber le rideau.
Alors, si quelqu'un s'était trouvé là, il aurait vu distinctement l'Ombre pénétrer lestement
par la fenêtre d'en face et disparaître dans l'intérieur.
Le lendemain, comme il ne faisait plus si chaud, le savant étranger sortit. Le ciel était
couvert de nuages; mais voilà qu'ils se dissipent, le soleil reparaît.
--Qu'est cela? s'écrie l'étranger qui venait de se retourner pour considérer un monument.
Mais c'est affreux! Comment, je n'ai plus mon Ombre! Elle m'a pris au mot; elle m'a
quitté hier soir. Que vais-je devenir?
Le soir, il se remit sur son balcon, la lumière derrière lui; il se dressa de tout son haut, se
baissa jusque par terre, fit mille contorsions; puis il appela hum hum, et pstt, pstt; l'Ombre
ne reparut pas.
Décidément, ce n'était pas gai. Mais dans les pays chauds, la végétation est bien puissante;
tout y pousse et prospère à merveille, et au bout de huit jours, l'étranger aperçut, à la
lueur de sa lampe, un petit filet d'ombre derrière lui.»Quelle chance! se dit-il. La racine
était restée.»
La nouvelle ombre grandit assez vite; au bout de trois semaines, l'étranger s'enhardit à se
montrer de jour en public, et lorsqu'il repartit pour le Nord, sa patrie, on ne remarquait
plus chez lui rien d'extraordinaire.
De retour dans son pays, le savant homme écrivit des livres sur les vérités qu'il avait
découvertes et sur ce qu'il avait vu dans ce monde méridional.
Un soir qu'il était dans sa chambre à méditer, il entend frapper doucement à sa
porte.»Entrez!» dit-il. Personne ne vint. Alors, il alla ouvrir lui-même la porte, et devant
lui se trouva un homme d'une extrême maigreur; mais il était habillé à la dernière mode:
ce devait être un personnage de distinction.
--À qui ai-je l'honneur de parler? dit le savant.
--Oui, je le pensais bien, que vous ne me reconnaîtriez pas, répondit l'autre. Je ne suis pas
bien gros, j'ai cependant maintenant un corps véritable. Vous continuez à ne point me

remettre? Mais, je suis votre ancienne Ombre. Depuis que je vous ai quitté, acquis une
belle fortune. C'est ce qui me permettra de me racheter du servage où je me trouve
toujours vis-à-vis de vous.
--Non, permettez que je revienne de ma surprise, s'écria le savant. Voyons, vous ne vous
moquez pas de moi?
--Du tout, répondit l'Ombre. Mon histoire n'est pas de celles qui se passent tous les jours.
Lorsque vous m'avez autorisée à vous quitter, j'en ai profité comme vous le savez.
Cependant, au milieu de mon bonheur, j'ai éprouvé le désir de vous revoir encore une fois
avant votre mort, ainsi que ce pays. Je sais que vous avez une nouvelle ombre. Ai-je à lui
payer quelque chose parce qu'elle remplit mon service, et à vous combien devrai-je si je
veux me racheter?
--Comment, c'est vraiment toi? dit le savant. Jamais je n'aurais eu l'idée qu'on pouvait
retrouver son Ombre sous la forme d'un être humain.
--Pardon si j'insiste, reprit l'Ombre. Quelle somme ai-je à vous verser pour que vous
renonciez à l'autorité que vous avez toujours sur moi?
--Laisse donc ces sornettes, dit le savant. Comment peut-il être question d'argent entre
nous. Je t'affranchis et je te fais libre comme l'air. Je suis enchanté d'apprendre que tu as
si bien fait ton chemin dans ce monde. Seulement je te prie d'une chose; raconte-moi tes
aventures depuis le moment où tu t'es faufilée par la fenêtre du balcon dans la maison en
face de celle que nous habitions.
--Je veux bien vous en faire le récit, dit l'Ombre; mais promettez-moi de n'en rien révéler,
de ne pas apprendre aux gens que je n'ai été qu'un être impalpable. Il me peut venir l'idée
de me marier, et je ne tiens pas à ce qu'on me suppose sans consistance.
--C'est entendu, dit le savant.
Avant de commencer, l'Ombre s'installa à son aise. Elle était toute vêtue de noir, ses
vêtements étaient du drap le plus fin, ses bottes en vernis; elle portait un chapeau à claque,
dont par un ressort on pouvait faire une simple galette: on venait d'inventer ce genre de
coiffure, qui n'était encore d'usage que dans la plus haute société.
Elle s'assit et posa ses bottes vernies sur la tête de la nouvelle ombre qui lui avait succédé
et qui se tenait comme un fidèle caniche aux
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