Contes humoristiques - Tome I | Page 9

Alphonse Allais
assez curieux dans l'histoire des gr��ves, ces braves travailleurs ne demandaient ni augmentation de salaire ni diminution de travail.
Tout ce qu'ils exigeaient, c'��tait le droit absolu de ne pas travailler par les temps de pluie.
Ajoutons qu'ils eurent vite gain de cause.
Tirouard s'occupa d��s lors du dressage de toutes sortes de b��tes. Le succ��s couronna ses efforts.
Tirouard dressa la totalit�� des animaux de la cr��ation, depuis l'��l��phant jusqu'au ciron.
Mais ce fut surtout dans le dressage de la sardine �� l'huile qu'il d��passa tout ce qu'on avait fait jusqu'�� ce jour.
Rien n'��tait plus int��ressant que de voir ces intelligentes petites cr��atures ��voluer, tourner, faire mille graces dans leur aquarium.
Le travail se terminait par le choeur des soldats de Faust chant�� par les sardines, apr��s quoi elles venaient d'elles-m��mes se ranger dans leur bo?te d'o�� elles ne bougeaient point jusqu'�� la repr��sentation du lendemain.
�� pr��sent, Tirouard, riche et officier d'acad��mie, go?te un repos qu'il a bien m��rit��.
J'ai visit�� hier son merveilleux h?tel de l'impasse Guelma, o�� j'ai particuli��rement admir�� les jardins suspendus qu'il a fait venir de Babylone �� grands frais.

Postes et t��l��graphes
Je descendis �� la station de Baisemoy-en-Cort, o�� m'attendait le dog-cart de mon vieil ami Lenfileur.
Dans le train, je m'��tais aper?u d'un oubli impardonnable (v��ritablement impardonnable) et ma premi��re pr��occupation, en d��barquant, fut de me faire conduire au bureau des Postes et T��l��graphes, afin d'envoyer une d��p��che �� Paris.
Le bureau de Baisemoy-en-Cort se fait remarquer par une absence de confortable qui frise la p��nurie.
Dans une encre d��color��e et moisie, mais boueuse, je trempai une vieille plume hors d'age et je griffonnai, �� grand-peine, des caract��res dont l'ensemble constituait ma d��p��che.
Une dame, plut?t vilaine, la recueillit sans bienveillance, compta les mots et m'indiqua une somme que je versai incontinent sur la planchette du guichet.
J'allais me retirer avec la satisfaction du devoir accompli lorsque j'aper?us dans le bureau, me tournant le dos, une jeune femme occup��e �� manipuler un Morse[1] f��brilement.
[Note 1: Pour ��viter toute confusion, le Morse en question est un appareil de transmission t��l��graphique ainsi appel�� du nom de son inventeur, et non pas un veau marin. La pr��sence de ce dernier, fr��quente dans les mers glaciales, est, d'ailleurs, assez rare dans les bureaux de poste fran?ais.]
Jeune? probablement. Rousse? s?rement. Jolie? pourquoi pas!
Sa robe noire, toute simple, moulait un joli corps dodu et bien compris.
Sa copieuse chevelure, relev��e en torsade sur le sommet de la t��te, d��gageait la nuque, une nuque divine, d'ambre clair, o�� venait mourir, tr��s bas dans le cou, une petite toison d��licate, fris��e--insubstantielle, on e?t dit.
(Si on a du poil �� l'ame, ce doit ��tre dans le genre de cette nuque-l��).
Et une envie me prit, subite, irraisonn��e, folle, d'embrasser �� pleine bouche les petits cheveux d'or pale de la t��l��graphiste.
Dans l'espoir que la jeune personne se retournerait enfin, je demeurai l��, au guichet, posant �� la buraliste des questions administratives auxquelles elle r��pondait sans bonne grace.
Mais la nuque transmettait toujours.
�� la porte du bureau, mon ami Lenfileur s'impatientait. (Sa petite jument a beaucoup de sang).
Je m'en allai.
Ce serait me m��conna?tre ��trangement, en ne devinant point que le lendemain matin, �� la premi��re heure, je me pr��sentais au bureau de poste.
Elle y ��tait, la belle rousse, et seule.
Cette fois, elle fut bien forc��e de me montrer son visage. Je ne m'en plaignis pas, car il ��tait digne de la nuque.
Et des yeux noirs, avec ?a, immenses.
(Oh! les yeux noirs des rousses!)
J'achetai des timbres, j'envoyai des d��p��ches, je m'enquis de l'heure des distributions; bref, pendant un bon quart d'heure, je jouai au naturel mon r?le d'idiot passionn��.
Elle me r��pondait tranquillement, pos��ment, avec un air de petite femme bien gentille et bien raisonnable.
Et j'y revins tous les jours, et m��me deux fois par jour, car j'avais fini par conna?tre ses heures de service, et je me gardais bien de manquer ce rendez-vous, que j'��tais le seul, h��las! �� me donner.
Pour rendre vraisemblables mes visites, j'��crivais des lettres �� mes amis, �� des indiff��rents.
J'envoyai notamment quelques d��p��ches �� des personnes qui me crurent certainement frapp�� d'ali��nation.
Jamais de ma vie je ne m'��tais livr�� �� une telle orgie de correspondance.
Et chaque jour, je me disais: ?C'est pour cette fois; je vais lui parler!?.
Mais, chaque jour, son air s��rieux me gla?ait et au lieu de lui dire: ?Mademoiselle, je vous aime!? je me bornais �� lui balbutier: ?Un timbre de trois sous, s'il vous pla?t, mademoiselle!?
La situation devenait intol��rable.
Comme ma vill��giature tirait �� sa fin, je r��solus d'incendier mes vaisseaux, et de risquer le tout pour le tout.
J'entrai au bureau et voici la d��p��che que j'envoyai �� un de mes amis:
Coquelin Cadet, 17, boulevard Haussmann, Paris.
_Je suis ��perdument amoureux de la petite t��l��graphiste rousse de Baisemoy-en-Cort_.
Je m'attendais, pour le moins, �� voir se roser son inoubliable peau blanche.
Eh bien, pas du tout!
De son air le plus pos��, elle me dit ces simples mots:
--Quatre-vingt-quinze
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