Contes humoristiques - Tome I | Page 5

Alphonse Allais
depuis une semaine.... Encore mille �� attendre et je serai bien heureux!
--Mille quoi?
--Mille semaines, parbleu!
--Mille semaines? �� attendre quoi?
--Quand je perdrais deux heures �� te raconter ?a, tu n'y comprendrais rien!
--Tu me crois donc bien b��te?
--Ce n'est pas que tu sois plus b��te qu'un autre, mais c'est une si dr?le d'histoire!
Et sur cette all��chance, Colydor se drapa dans un s��pulcral mutisme. Je me sentais d��cid�� �� tout, m��me au crime, pour savoir.
--Alors, fis-je de mon air le plus indiff��rent, tu es mari��....
--Parfaitement!
--Elle est jolie?
--Ridicule!
--Riche?
--Pas un sou!
--Alors quoi?
--Puisque je te dis que tu n'y comprendrais rien!
Mes yeux suppliants le firent se raviser.
Colydor s'assit dans un fauteuil, n'alluma pas un excellent cigare et me narra ce qui suit:
--Tu te rappelles le temps infame que nous prodigua le Seigneur durant tout le joli mois de mai? J'en profitai pour quitter Paris, et j'allai �� Trouville livrer mon corps d'albatre aux baisers d'Amphitrite.
?En cette saison, l'immeuble, �� Trouville, est pour rien. Moyennant une bouch��e de pain, je louai une maison tout enti��re, sur la route de Honfleur.
?Ah! une bien dr?le de maison, mon pauvre ami! Imagine-toi un heureux m��lange de palais florentin et de chaumi��re normande, avec un rien de pagode hindoue brochant sur le tout.
?Entre deux baisers d'Amphitrite, j'excursionnais vaguement dans les environs.
?Un dimanche, entre autres--oh! cet inoubliable dimanche!--je me promenais �� Houlbec, un joli petit port de mer, ma foi, quand des flots d'harmonie vinrent me submerger tout �� coup.
?�� deux pas, sur une plage plant��e d'ormes s��culaires, une fanfare, probablement municipale, jetait au ciel ses mugissements les plus m��lodieux.?Et autour, tout autour de ces Orph��e en d��lire, tournaient sans tr��ve les Houlbecquois et les Houlbecquoises.
?Parmi ces derni��res....
?Crois-tu au coup de foudre? Non? Eh bien, tu es une sinistre brute!
?Moi non plus, je ne croyais pas au coup de foudre, mais maintenant!...
?C'est comme un coup qu'on re?oit l��, pan! dans le creux de l'estomac, et ?a vous r��pond un peu dans le ventre. Tr��s curieux, le coup de foudre!
?Parmi ces derni��res, disais-je donc, une grande femme brune, d'une quarantaine d'ann��es, tournait, tournait, tournait.
?��tait-elle jolie? Je n'en sais rien, mais �� son aspect, je compris tout de suite que c'en ��tait fait de moi. J'aimais cette femme, et je n'aimerais jamais qu'elle!
?Fiche-toi de moi si tu veux, mais c'est comme ?a.
?Elle s'accompagnait de sa fille, une grande vilaine demoiselle de vingt ans, anguleuse et sans grace.
?Le lendemain, j'avais lach�� Trouville, mon castel auvergno-japonais, et je m'installais �� Houlbec.
?Mon coup de foudre ��tait la femme du capitaine des douanes, un vieux bougre pas commode du tout et joueur �� la manille aux ench��res, comme feu Manille aux ench��res lui-m��me!
?Moi qui n'ai jamais su tenir une carte de ma vie, je n'h��sitai pas, pour me rapprocher de l'idole, �� devenir le partenaire du terrible gabelou!
?Oh! ces soir��es au Caf�� de Paris, ces effroyables soir��es uniquement consacr��es �� me faire traiter d'imb��cile par le capitaine parce que je lui coupais ses manilles ou parce que je ne les lui coupais pas! Car, �� l'heure qu'il est, je ne suis pas encore bien fix��.
?Et puis, je ne me rappelais jamais que c'��tait le *dix* le plus fort �� ce jeu-l��. Oh! ma t��te, ma pauvre t��te!
?Un jour enfin, au bout d'une semaine environ, ma constance fut r��compens��e. Le gabelou m'invita �� d?ner.
?Charmante, la capitaine, et d'un accueil exquis. Mon coeur flamba comme braise folle. Je mis tout en oeuvre pour arriver �� mes d��testables fins, mais je pus me fouiller dans les grandes largeurs!
?Je commen?ais �� me sentir tout calamiteux, quand un soir--oh! cet inoubliable soir!...--nous ��tions dans le salon, je feuilletais un album de photographies, et elle, l'idole, me d��signait: mon cousin Chose, ma tante Machin, une belle-soeur de mon mari, mon oncle Untel, etc., etc.
?--Et celle-ci, la connaissez-vous?
?--Parfaitement, c'est Mlle Claire.
?--Eh bien, pas du tout! C'est moi �� vingt ans.
?Et elle me conta qu'�� vingt ans, elle ressemblait exactement �� Claire, sa fille, si exactement qu'en regardant Claire elle s'imaginait se consid��rer dans son miroir d'il y a vingt ans.
?��tait-ce possible!
?Comment cette adorable cr��ature, potel��e si d��licieusement, avait-elle pu ��tre une telle fille s��che et maigre?
?Alors, mon pauvre ami, une id��e me vint qui m'inonda de clart��s et de joies.
?Enfin, je tenais le bonheur!
??Si la m��re a ressembl�� si parfaitement �� la fille, me dis-je, il est certain qu'un jour la fille ressemblera parfaitement �� la m��re?.
?Et voil�� pourquoi j'ai ��pous�� Claire, la semaine derni��re.
?Aujourd'hui, elle a vingt ans, elle est laide.
Mais dans vingt ans, elle en aura quarante, et elle sera radieuse comme sa m��re!
?J'attendrai, voil�� tout!?
Et Colydor, ��videmment tr��s fier de sa combinaison, ajouta:
--Tu ne m'appelleras plus loufoque, maintenant... hein!

Phares
L'Eure est probablement un des rares d��partements terriens fran?ais, et certainement le seul, qui poss��de un phare maritime.
�� la suite de quelles louches intrigues, de quelles basses d��marches, de quelles naus��euses influences ce d��partement
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