salon bourgeois. Il était seul; il attendit éperdu, comme au milieu
d'une catastrophe.
Une porte s'ouvrit. Un homme parut. Il était grand, grave, un peu gros, en redingote noire.
Il montra un siège de la main.
François Tessier s'assit, puis, d'une voix haletante:
--Monsieur... monsieur... je ne sais pas si vous connaissez mon nom... si vous savez....
M. Flamel l'interrompit:
--C'est inutile, monsieur, je sais. Ma femme m'a parlé de vous.
Il avait le ton digne d'un homme bon qui veut être sévère, et une majesté bourgeoise
d'honnête homme. François Tessier reprit:
--Eh bien, monsieur, voilà. Je meurs de chagrin, de remords, de honte. Et je voudrais une
fois, rien qu'une fois, embrasser... l'enfant....
M. Flamel se leva, s'approcha de la cheminée, sonna. La bonne parut. Il dit:
--Allez me chercher Louis.
Elle sortit. Ils restèrent face à face, muets, n'ayant plus rien à se dire, attendant.
Et, tout à coup, un petit garçon de dix ans se précipita dans le salon, et courut à celui qu'il
croyait son père. Mais il s'arrêta, confus, en apercevant un étranger.
M. Flamel le baisa sur le front, puis lui dit:
--Maintenant, embrasse monsieur, mon chéri.
Et l'enfant s'en vint gentiment, en regardant cet inconnu.
François Tessier s'était levé. Il laissa tomber son chapeau, prêt à choir lui-même. Et il
contemplait son fils.
M. Flamel, par délicatesse, s'était détourné, et il regardait par la fenêtre, dans la rue.
L'enfant attendait, tout surpris. Il ramassa le chapeau et le rendit à l'étranger. Alors
François, saisissant le petit dans ses bras, se mit à l'embrasser follement à travers tout son
visage, sur les yeux, sur les joues, sur la bouche, sur les cheveux.
Le gamin, effaré par cette grêle de baisers, cherchait à les éviter, détournait la tête,
écartait de ses petites mains les lèvres goulues de cet homme.
Mais François Tessier, brusquement, le remit à terre. Il cria:
--Adieu! adieu!
Et il s'enfuit comme un voleur.
L'AVEU
[Illustration]
L'AVEU
Le soleil de midi tombe en large pluie sur les champs. Ils s'étendent, onduleux, entre les
bouquets d'arbres des fermes, et les récoltes diverses, les seigles mûrs et les blés
jaunissants; les avoines d'un vert clair, les trèfles d'un vert sombre, étalent un grand
manteau rayé, remuant et doux sur le ventre nu de la terre.
Là-bas, au sommet d'une ondulation, en rangée comme des soldats, une interminable
ligne de vaches, les unes couchées, les autres debout, clignant leurs gros yeux sous
l'ardente lumière, ruminent et pâturent un trèfle aussi vaste qu'un lac.
Et deux femmes, la mère et la fille, vont, d'une allure balancée l'une devant l'autre, par un
étroit sentier creusé dans les récoltes, vers ce régiment de bêtes.
Elles portent chacune deux seaux de zinc maintenus loin du corps par un cerceau de
barrique; et le métal, à chaque pas qu'elles font, jette une flamme éblouissante et blanche
sous le soleil qui le frappe.
Elles ne parlent point. Elles vont traire les vaches. Elles arrivent, posent à terre un seau, et
s'approchent des deux premières bêtes, qu'elles font lever d'un coup de sabot dans les
côtes. L'animal se dresse, lentement, d'abord sur ses jambes de devant, puis soulève avec
plus de peine sa large croupe, qui semble alourdie par l'énorme mamelle de chair blonde
et pendante.
Et les deux Malivoire, mère et fille, à genoux sous le ventre de la vache, tirent par un vif
mouvement des mains sur le pis gonflé, qui jette, à chaque pression, un mince fil de lait
dans le seau. La mousse un peu jaune monte aux bords et les femmes vont de bête en bête
jusqu'au bout de la longue file.
Dès qu'elles ont fini d'en traire une, elles la déplacent, lui donnant à pâturer un bout de
verdure intacte.
Puis elles repartent, plus lentement, alourdies par la charge du lait, la mère devant, la fille
derrière.
Mais celle-ci brusquement s'arrête, pose son fardeau, s'assied et se met à pleurer.
La mère Malivoire, n'entendant plus marcher, se retourne et demeure stupéfaite.
--Qué qu'tas? dit-elle.
Et la fille, Céleste, une grande rousse aux cheveux brûlés, aux joues brûlées, tachées de
son comme si des gouttes de feu lui étaient tombées sur le visage, un jour qu'elle peinait
au soleil, murmura en geignant doucement comme font les enfants battus:
--Je n'peux pu porter mon lait!
La mère la regardait d'un air soupçonneux. Elle répéta:
--Qué qu'tas?
Céleste reprit, écroulée par terre entre ses deux seaux, et se cachant les yeux avec son
tablier:
--Ça me tire trop. Je ne peux pas.
La mère, pour la troisième fois, reprit:
--Qué que t'as donc?
Et la fille gémit:
--Je crois ben que me v'la grosse.
Et elle sanglota.
La vieille à son tour posa son fardeau, tellement interdite qu'elle ne trouvait rien. Enfin
elle balbutia:
--Te... te... te v'la grosse, manante, c'est-il ben

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.