Contes des fees | Page 6

Robert de Bonnières
chemins les plus courts,

Tous les courriers de la frontière
Revenaient en hâte, annonçant

A Rose qu'un Roi tout Puissant
Avait conquis la terre entière
Et
n'avait plus qu'à conquérir
Ce seul royaume, en telle sorte
Que son
armée était si forte,
Qu'il entrerait sans coup férir.
Rose ouït ce préliminaire
Comme Reine, sans s'émouvoir,
Ayant
hérité du pouvoir
De son père mort centenaire,
(On vivait très vieux
en ce temps).
Mais l'on s'étonnait que la Reine
Demeurât d'humeur
si sereine
Devant ces périls éclatants.
Or, sans vous creuser la
cervelle.
Vous avez deviné comment
Rose ne s'émut nullement

En entendant cette nouvelle,
Car vous pouvez vous figurer
Que
quelque Abeille avant-coureuse
Avait dit à notre amoureuse
Plus
que de quoi la rassurer.
La Mouche-Fée, à son oreille,
Comme une
clochette d'or fin,
Sonna si doucement, qu'enfin

Rose n'eut joie
autre ou pareille.
Comme moi, vous pouvez déjà
Conclure de cette
arrivée
Que, dès que l'aube fut levée
Dans le ciel et se propagea,

Myrtil avait quitté sa tente,
Et précédé du bel Essaim
Qui le servait

en son dessein,
Poursuivait sa course constante,
Et cela de telle
façon,
Que Myrtil, comme je vais dire,
Vit le Petit Castel de cire

Dont notre Essaim fut le maçon.
Toutes choses étaient changées
Sinon de lieu, du moins de fait:
Les
mêmes lilas, en effet,
Et les buis en belles rangées,
Avec l'âge
étaient devenus
Si grands, si grands, que les grands chênes,
Que
l'on voit aux forêts prochaines,
N'étaient que brins d'herbe menus,

Et que les reines marguerites,
Ainsi que les jeunes rosiers,
Abeilles,
où vous vous posiez,
Sans rien perdre de leurs mérites,
Etaient en
telle floraison,
Qu'en une rose, n'en déplaise,
Rose aurait dormi
mieux à l'aise
Qu'en son lit, par comparaison.
Et l'odeur fraîche et
pénétrante
De tant de parfums, dit l'auteur,
Avait fait une eau de
senteur
De l'onde unie et transparente
Du lac, qui s'était tant porté

Hors de ses bornes naturelles,
Que ses eaux pouvaient bien entre elles

Couvrir notre monde habité.
Car toutes choses, au contraire
De
s'enlaidir, avaient été
Vieillissant en telle beauté
Qu'il est malaisé
de pourtraire
Les admirables changements
Qui s'étaient faits dans la
nature
Du jardin qu'avaient, en peinture,
Montré deux songes si
charmants.
VI
COMMENT LES COLOMBES BLANCHES
ACCOMPAGNÈRENT
ROSE-ROSE JUSQU'AU CASTEL DE
CIRE ET
COMMENT MYRTIL L'Y REJOIGNIT.
Si la blancheur est un des signes
De la vieillesse, je dirai
Que les
Biches au poil doré,
Les Tourtereaux bleus et les Cygnes
Plus noirs
alors que les corbeaux,
Si j'en crois l'auteur que je cite,
Etaient en
ce merveilleux site
Si blancs de vieillesse et si beaux,
Que de race
en race engendrée
Jusqu'à leurs derniers rejetons,
Aux pays que
nous habitons
Leur blancheur en est demeurée.
C'est seulement
depuis ce temps
Que nous voyons le blanc plumage
Des colombes

au doux ramage,
Biches blanches et merles blancs.
Quoi qu'il soit de cette origine,
Vous eussiez vu là ce matin
Les
belles brouteuses de thym,
Plus blanches que l'on n'imagine.

S'arrêter de brouter pour voir
Passer la blanche fiancée
Grave et dès
longtemps exercée
Au long amour de son devoir:
Tandis que la
troupe fidèle
Des colombes allait volant
Jusqu'au Castel, et
s'emmélant
Par couple léger autour d'elle.
Car les colombes, par
milliers,
Que ce bel amour intéresse,
Escortaient leur bonne
maîtresse
A ses rendez-vous journaliers.
Vous dirai-je encor davantage?
Si d'une part les verts ormeaux
Et
les cèdres aux noirs rameaux,
A mesure de leur grand âge,
Avaient
poussé leur front serein
Et leur taille extraordinaire
Bien haut au
dessus du tonnerre,
D'autre part, l'effort souterrain
De leurs racines
biscornues,
Travaillant la colline, avait
Fait que le Castel se trouvait

Comme un temple parmi les nues.
Et ce n'était plus comme avant

Colline humble, pente et mi-côte,
Mais pic d'azur, montagne haute

Où ne peut atteindre le vent.
L'accès au Prince en fut facile,
Soit
qu'alors un char enchanté
Ou quelque autre engin l'ait porté
Auprès
de Rose en cet asile
D'amour, de gloire et de repos,
D'où l'on voyait
par les vallées
Dix mille villes assemblées,
Comme en leurs parcs,
de blancs troupeaux,
Les mers et les eaux miroitantes,
Et les
moissons et les forêts,

Et sur cent mille arpents, auprès
Du lac
profond, cent mille tentes!
VII
COMMENT ROSE ACCUEILLIT MYRTIL ET DU DISCOURS

QU'ELLE LUI TINT
Myrtil s'avançait au milieu
Des Colombes, parmi les nues,
Et des
Abeilles revenues
De leur voyage en ce haut lieu,
D'où Rose eut le
monde en offrande.
Mais cette fois le Conquérant,
Au monde même

indifférent,
Trouve enfin que la terre est grande
Assez, puisqu'il a
retrouvé
Rose-Rose et son doux sourire,
Et, tel que je l'ai pu décrire,

Le Castel qu'il avait rêvé.
Et comme il déposait son glaive
En
s'agenouillant sur le seuil,
Rose s'en vient lui faire accueil
De ses
deux bras et le relève:
--«Heureux le jour où je te vois,
Myrtil, heureuses les années
Qui
rassemblent nos destinées!»
Dit-elle. Et le son de sa voix,
Limpide
comme une fontaine,
Est frais comme les belles eaux
Où viennent
boire les oiseaux
Après une course lointaine.
«Heureux le songe où
je t'ai vu!
Et vous, compagnes dévouées
De son retour, soyez louées,

Abeilles, pour avoir pourvu
De tant d'honneur son beau courage,

Et pour me l'avoir ramené
Aux lieux où notre amour est né,
Dans le
premier temps de notre âge.
Cher époux, tu m'es donc rendu,
Mais
je n'eus que joie à t'attendre,
Puisque je t'ai d'un coeur plus tendre,

En toute assurance, attendu:
Et cette assurance était telle
Et me
faisait vivre si fort
Que j'eusse attendu sans effort
Jusqu'à devenir
immortelle!
Non, non, les ans n'ont apporté
A notre amour aucun
dommage,
Amour a toujours le même âge,
Et t'ai-je seulement
quitté!
Car, malgré les longues années,
Tu vois que sur mon front
les fleurs
Dont nos noms portent les
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