Confession de Minuit | Page 4

Georges Duhamel
dix gar?ons de bureau, tra?né dans une pièce voisine, déshabillé, fouillé.
J'ai repris mes vêtements; quelqu'un est venu m'apporter mon chapeau et me dire qu'on désirait étouffer l'affaire, mais que je devais quitter immédiatement la maison. On m'a conduit jusqu'à la porte. Le lendemain, Oudin m'a rapporté mon matériel de scribe et mes affaires personnelles.
Voilà cette misérable histoire. Je n'aime pas à la raconter, parce que je ne peux le faire sans ressentir un inexprimable agacement.

II
Notez en outre que l'affaire Sureau marque le début de mes malheurs.
Quand je dis ?malheurs?, je n'entends pas surtout les grands désagréments qui ont résulté, pour moi, de la perte de ma place. Je pense plut?t à la détresse morale dans laquelle je patauge depuis cette époque et d'où je ne sortirai peut-être jamais plus.
J'ai, ce jour-là, mesuré, visité des profondeurs dont mon esprit ne peut plus s'évader. Il s'est fait une déchirure dans les nuages et, pendant une minute, j'ai très nettement regardé le fond du fond.
Inutile de raisonner sur des choses déraisonnables. J'aime encore mieux vous raconter les événements qui sont arrivés par la suite. Remarquez en passant qu'appeler événements des brimborions sans importance, comme tout ce qui est de moi, ?a fait pitié quand on y pense.
Mon algarade avec les gens de M. Sureau avait eu lieu vers dix heures du matin. Il n'était pas dix heures et demie quand je me trouvai dans la rue. Je n'avais plus qu'une chose à faire: retourner à la maison.
J'habite avec ma mère. Je m'aper?ois que vous ne savez rien. Il faut que je vous explique tout, que je vous raconte tout. C'est insupportable, quand on parle de soi, on n'a jamais fini.
Ma mère est veuve, mon père est mort alors que j'étais encore dans la première enfance, si bien que je ne connais presque rien de lui. Entendez que j'ai très peu de souvenirs Absolument personnels. A part cela, ma mère m'a raconté quatre ou cinq cents fois certaines histoires de mon père, en sorte que ces histoires font partie intégrante de ma Mémoire et que je dois accomplir un réel effort pour distinguer ces souvenirs-là de mes souvenirs à moi. Mais nous parlerons de mon père une autre fois.
Nous avons toujours habité notre logement de la rue du Pot-de-Fer. Trois pièces et une cuisine, au quatrième étage. J'ai ce logement en horreur et, pourtant, je ne suis bien que là.
La maison, l'endroit où l'on vit d'ordinaire finit par devenir comme une image de l'être: on ne conna?t que ?a, et on en voit toute la tristesse, toute l'intolérable tristesse.
Ma mère a une très petite rente. Avec ce revenu et le peu que je gagne elle fait très bien marcher la maison. Ma mère est une femme admirable, la seule personne au monde qui me donne parfois envie de me jeter à genoux.
Je vous dis cela en passant, mais ?a doit être bien bon de se jeter à genoux devant quelqu'un, de le vénérer, de lui ouvrir son coeur, de s'en remettre à lui de toutes choses. Quand je pense à l'humanité, quand je pense à tous ces bougres d'hommes, ce que je leur reproche le plus, ce n'est pas le mal qu'ils font; c'est de ne pas s'arranger pour qu'une fois de temps en temps on ait le besoin impérieux de se prosterner devant l'un d'eux, de lui embrasser les pieds, de lui jurer fidélité, de le servir comme ferait un esclave, ou un chien. Ah bien, oui! Il n'y a rien à tirer de ces brutes-là! On leur offrirait son ame toute br?lante, arrachée toute vive, qu'ils prendraient l'air soup?onneux d'un tripier qui regarde une pièce démonétisée.
Je vous le répète, ma mère est une femme admirable. Si bonne, si courageuse, si peu semblable à moi! Car moi, je suis sans doute méprisable, mais pour des raisons que je reste seul à conna?tre, je vous prie de le croire; pour des raisons que ne sauraient imaginer ni Oudin, ni M. Jacob, ni même Lanoue. Ceux-là, plut?t que de me mépriser, ils feraient mieux de se regarder en face avec sang-froid. D'ailleurs, ils ne me méprisent peut-être pas, au fond.
A part cela, ma mère a un petit défaut. Elle me traite toujours comme si j'étais demeuré le bambin qu'elle a dorloté et gourmandé jadis. C'est vexant pour un homme qui approche de la trentaine. A dire juste, ma mère est de caractère un peu bougon. Un très petit défaut, je le sais, et qui, toutefois, m'est extrêmement pénible, surtout dans certaines occasions.
C'est à ce travers de ma mère que je pensais en sortant de la maison Socque et Sureau.
Le grand air m'avait fait du bien. Je commen?ais à me ressaisir, à rassembler mes idées qui tiraient dans tous les sens, comme un attelage découragé par une longue c?te.
Je suivais le quai d'Austerlitz. J'essayais de comprendre
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