que mal défendus contre les cochers, les 
domestiques de place, les guides, les porteurs, la mère et le fils avaient 
fini par s'installer dans l'omnibus de l'_hôtel de la Minerve_, et, en un 
quart d'heure, à travers des rues étroites et rapides, ils étaient arrivés à 
cet hôtel. 
Ils trouvèrent au second étage le salon et les deux chambres qui leur 
étaient nécessaires. 
--Madame mange-t-elle à table d'hôte? demanda le secrétaire. 
--Certainement. 
--A quelle table? 
--Comment à quelle table! 
--A celle servie en maigre ou à celle servie en gras; c'est aujourd'hui 
vendredi? 
--A celle servie en maigre. 
--Madame?... 
--Madame Prétavoine et M. Aurélien Prétavoine. 
 
II 
--Et maintenant, dit doucement madame Prétavoine, lorsqu'elle se 
trouva seule avec son fils dans le salon, sur lequel ouvraient leurs deux 
chambres, maintenant mon avis est que nous nous partagions le travail; 
pendant que j'irai faire visite à madame la vicomtesse de la 
Roche-Odon et lui parlerai de Bérengère, vous irez à l'ambassade voir 
votre ancien camarade, M. de Vaunoise, et vous lui parlerez, surtout 
vous le ferez parler de madame de la Roche-Odon, il pourra nous être 
utile; par lui vous apprendrez les bruits du monde sur madame de la 
Roche-Odon et sur son fils, le prince Michel Sobolewski, avec qui M. 
de Vaunoise a dû se rencontrer. Peut-être même M. de Vaunoise 
pourra-t-il vous mettre en relation avec ce jeune homme. Une 
camaraderie qui s'établirait tout naturellement entre vous et le frère de 
votre future femme vaudrait mieux qu'une liaison qui viendrait à la 
suite d'une présentation officielle. Si vous voulez que votre mariage 
réussisse... 
--Si je le veux?
--Je pense que vous le voulez, mais je dis que pour cela il ne faut pas 
que nous éprouvions ici un échec comme nous en avons éprouvé un à 
Condé. Il est donc important de manoeuvrer avec prudence et de 
n'avancer que pas à pas. Aujourd'hui, préparons le terrain du côté de 
madame de la Roche-Odon et de son fils. Plus tard, nous agirons 
ailleurs. 
--En tous cas, dit Aurélien, nous ne pouvons faire ces visites qu'après 
déjeuner. 
--Assurément. 
De tous les hôtels de Rome, la Minerve est assurément le plus curieux. 
D'autres situés sur la place du Peuple et sur la place d'Espagne, dans le 
Corso ou dans la via del Babbuino sont plus élégants, ont plus de 
distinction, ou plus de respectabilité, comme disent les Anglais, mais ce 
ne sont que des hôtels cosmopolites, comme on en trouve dans toutes 
les grandes villes d'Europe; la Minerve au contraire a un caractère 
propre; elle héberge les ecclésiastiques et les Français qui, de près ou 
de loin, touchent au monde dévot. A vrai dire, il n'est pas indispensable, 
pour y être reçu, de présenter un billet de confession au portier, et deux 
tables sont servies les jours d'abstinence, l'une en gras, l'autre en maigre, 
ce qui indique la présence d'un certain nombre d'incrédules et de 
mécréants; mais enfin, la clientèle prise en masse, est plutôt cléricale. 
Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à traverser un de ses longs corridors. 
Les domestiques qui brossent là les vêtements de leurs maîtres, le font 
discrètement avec des caresses de main, en gens habitués à plier les 
surplis, les aubes, les étoles et les chasubles. Ces vêtements eux-mêmes, 
si l'on y prend attention, ont une tournure particulière; ils sont noirs; le 
drap est plus épais que celui qu'on voit sur les épaules du vulgaire; les 
redingotes sont plus longues, les pantalons sont plus larges; devant les 
portes on trouve plus de souliers que de bottines, et encore beaucoup de 
ces souliers sont-ils à boucles. Les gens qu'on rencontre dans les 
escaliers et dans les vestibules ont entre eux, pour la plupart, comme un 
air de famille: visages rasés; yeux baissés; pas glissés; même les jeunes 
filles semblent sur le point de faire une génuflexion devant le 
Saint-Sacrement. 
Et à la table du déjeuner ce sont de discrets Benedicite et de rapides 
signes de croix. 
A côté d'un voyageur de commerce qui se retient pour ne pas chanter le
_Fils du pape_, est assis un évêque servi par son domestique, qui se 
tient derrière sa chaise. Un bon curé de village est à la droite de sa 
châtelaine qui lui a payé le voyage de Rome, et il lui parle humblement, 
avec un coeur plein de gratitude pour cette générosité; dans la poche de 
sa soutane il a une lettre que le portier vient de lui remettre; elle vient 
de l'Anticamera pontifica et le _maestro di camera di S. S._ le prévient 
que le lendemain _Sa Sainteté_ daignera le recevoir à son audience. 
Quelle félicité! Aussi la béatitude dans laquelle il nage lui a-t-elle 
coupé l'appétit. Ce n'est pas seulement pour lui qu'il est heureux, c'est 
encore pour sa paroisse, à laquelle il va reporter la bénédiction du 
Saint-Père.    
    
		
	
	
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