à éclairer des choses trop délicates et mystérieuses pour la 
grande lumière, s'en venait-il faire si transparentes les ténèbres? 
Pourquoi le plus habile des oiseaux chanteurs ne se reposait-il pas 
comme les autres et se mettait-il à vocaliser dans l'ombre troublante? 
Pourquoi ce demi-voile jeté sur le monde? Pourquoi ces frissons de
coeur, cette émotion de l'âme, cet alanguissement de la chair? 
Pourquoi ce déploiement de séductions que les hommes ne voyaient 
point, puisqu'ils étaient couchés en leurs lits? A qui étaient destinés ce 
spectacle sublime, cette abondance de poésie jetée du ciel sur la terre? 
Et l'abbé ne comprenait point. 
Mais voilà que là-bas, sur le bord de la prairie, sous la voûte des arbres 
trempés de brume luisante, deux ombres apparurent qui marchaient 
côte à côte. 
L'homme était plus grand et tenait par le cou son amie, et, de temps en 
temps, l'embrassait sur le front. Ils animèrent tout à coup ce paysage 
immobile qui les enveloppait comme un cadre divin fait pour eux. Ils 
semblaient, tous deux, un seul être, l'être à qui était destinée cette nuit 
calme et silencieuse; et ils s'en venaient vers le prêtre comme une 
réponse vivante, la réponse que son Maître jetait à son interrogation. 
Il restait debout, le coeur battant, bouleversé, et il croyait voir quelque 
chose de biblique, comme les amours de Ruth et de Booz, 
l'accomplissement d'une volonté du Seigneur dans un de ces grands 
décors dont parlent les livres saints. En sa tête se mirent à bourdonner 
les versets du Cantique des Cantiques, les cris d'ardeur, les appels des 
corps, toute la chaude poésie de ce poème brûlant de tendresse. 
Et il se dit: «Dieu peut-être a fait ces nuits-là pour voiler d'idéal les 
amours des hommes.» 
Et il reculait devant le couple embrassé qui marchait toujours. C'était sa 
nièce pourtant; mais il se demandait maintenant s'il n'allait pas désobéir 
à Dieu. Et Dieu ne permet-il point l'amour, puisqu'il l'entoure 
visiblement d'une splendeur pareille? 
Et il s'enfuit, éperdu, presque honteux, comme s'il eût pénétré dans un 
temple où il n'avait pas le droit d'entrer. 
* * * * *
UN COUP D'ÉTAT 
[Illustration de JEANNIOT] 
Paris venait d'apprendre le désastre de Sedan. La République était 
proclamée. La France entière haletait au début de cette démence qui 
dura jusqu'après la Commune. On jouait au soldat d'un bout à l'autre du 
pays. 
Des bonnetiers étaient colonels faisant fonctions de généraux; des 
revolvers et des poignards s'étalaient autour de gros ventres pacifiques 
enveloppés de ceintures rouges; des petits bourgeois devenus guerriers 
d'occasion commandaient des bataillons de volontaires braillards et 
juraient comme des charretiers pour se donner de la prestance. 
Le seul fait de tenir des armes, de manier des fusils à systèmes affolait 
ces gens qui n'avaient jusqu'ici manié que des balances, et les rendait, 
sans aucune raison, redoutables au premier venu. On exécutait des 
innocents pour prouver qu'on savait tuer; on fusillait, en rôdant par les 
campagnes vierges encore de Prussiens, les chiens errants, les vaches 
ruminant en paix, les chevaux malades pâturant dans les herbages. 
Chacun se croyait appelé à jouer un grand rôle militaire. Les cafés des 
moindres villages, pleins de commerçants en uniforme, ressemblaient à 
des casernes ou à des ambulances. 
Le bourg de Canneville ignorait encore les affolantes nouvelles de 
l'armée et de la capitale; mais une extrême agitation le remuait depuis 
un mois, les partis adverses se trouvant face à face. 
Le maire, M. le vicomte de Varnetot, petit homme maigre, vieux déjà, 
légitimiste rallié à l'Empire depuis peu, par ambition, avait vu surgir un 
adversaire déterminé dans le docteur Massarel, gros homme sanguin, 
chef du parti républicain dans l'arrondissement, vénérable de la loge 
maçonnique du chef-lieu, président de la Société d'agriculture et du 
banquet des pompiers, et organisateur de la milice rurale qui devait 
sauver la contrée.
En quinze jours, il avait trouvé le moyen de décider à la défense du 
pays soixante-trois volontaires mariés et pères de famille, paysans 
prudents et marchands du bourg, et il les exerçait, chaque matin, sur la 
place de la mairie. 
Quand le maire, par hasard, venait au bâtiment communal, le 
commandant Massarel, bardé de pistolets, passant fièrement, le sabre 
en main, devant le front de sa troupe, faisait hurler à son monde: «Vive 
la patrie!» Et ce cri, on l'avait remarqué, agitait le petit vicomte, qui 
voyait là sans doute une menace, un défi, en même temps qu'un 
souvenir odieux de la grande Révolution. 
Le 5 septembre au matin, le docteur en uniforme, son revolver sur sa 
table, donnait une consultation à un couple de vieux campagnards, dont 
l'un, le mari, atteint de varices depuis sept ans, avait attendu que sa 
femme en eût aussi pour venir trouver le médecin, quand le facteur 
apporta le journal. 
M. Massarel l'ouvrit, pâlit, se dressa brusquement, et, levant les deux 
bras au ciel    
    
		
	
	
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