Dieu, en marchant à côté d'elle par 
les chemins des champs. Elle ne l'écoutait guère et regardait le ciel, les 
herbes, les fleurs, avec un bonheur de vivre qui se voyait dans ses yeux. 
Quelquefois elle s'élançait pour attraper une bête volante, et s'écriait en 
la rapportant: «Regarde, mon oncle, comme elle est jolie; j'ai envie de 
l'embrasser.» Et ce besoin «d'embrasser des mouches» ou des grains de 
lilas inquiétait, irritait, soulevait le prêtre, qui retrouvait encore là cette 
indéracinable tendresse qui germe toujours au coeur des femmes. 
Puis, voilà qu'un jour l'épouse du sacristain, qui faisait le ménage de 
l'abbé Marignan, lui apprit avec précaution que sa nièce avait un 
amoureux. 
Il en ressentit une émotion effroyable, et il demeura suffoqué, avec du 
savon plein la figure, car il était en train de se raser. 
Quand il se retrouva en état de réfléchir et de parler, il s'écria: «Ce n'est 
pas vrai, vous mentez, Mélanie!»
Mais la paysanne posa la main sur son coeur: «Que notre Seigneur me 
juge si je mens, monsieur le curé. J'vous dis qu'elle y va tous les soirs 
sitôt qu' votre soeur est couchée. Ils se r'trouvent le long de la rivière. 
Vous n'avez qu'à y aller voir entre dix heures et minuit.» 
Il cessa de se gratter le menton, et il se mit à marcher violemment, 
comme il faisait toujours en ses heures de grave méditation. Quand il 
voulut recommencer à se barbifier, il se coupa trois fois depuis le nez 
jusqu'à l'oreille. 
Tout le jour, il demeura muet, gonflé d'indignation et de colère. A sa 
fureur de prêtre, devant l'invincible amour, s'ajoutait une exaspération 
de père moral, de tuteur, de chargé d'âme, trompé, volé, joué par une 
enfant; cette suffocation égoïste des parents à qui leur fille annonce 
qu'elle a fait, sans eux et malgré eux, choix d'un époux. 
Après son dîner, il essaya de lire un peu, mais il ne put y parvenir; et il 
s'exaspérait de plus en plus. Quand dix heures sonnèrent, il prit sa 
canne, un formidable bâton de chêne dont il se servait toujours en ses 
courses nocturnes, quand il allait voir quelque malade. Et il regarda en 
souriant l'énorme gourdin qu'il faisait tourner, dans sa poigne solide de 
campagnard, en des moulinets menaçants. Puis, soudain, il le leva et, 
grinçant des dents, l'abattit sur une chaise dont le dossier fendu tomba 
sur le plancher. 
Et il ouvrit sa porte pour sortir; mais il s'arrêta sur le seuil, surpris par 
une splendeur de clair de lune telle qu'on n'en voyait presque jamais. 
Et comme il était doué d'un esprit exalté, un de ces esprits que devaient 
avoir les Pères de l'Église, ces poètes rêveurs, il se sentit soudain 
distrait, ému par la grandiose et sereine beauté de la nuit pâle. 
Dans son petit, jardin, tout baigné de douce lumière, ses arbres fruitiers, 
rangés en ligne, dessinaient en ombre sur l'allée leurs grêles membres 
de bois à peine vêtus de verdure; tandis que le chèvrefeuille géant, 
grimpé sur le mur de sa maison, exhalait des souffles délicieux et 
comme sucrés, faisait flotter dans le soir tiède et clair une espèce d'âme 
parfumée.
Il se mit à respirer longuement, buvant de l'air comme les ivrognes 
boivent du vin, et il allait à pas lents, ravi, émerveille, oubliant presque 
sa nièce. 
Dès qu'il fut dans la campagne, il s'arrêta pour contempler toute la 
plaine inondée de cette lueur caressante, noyée dans ce charme tendre 
et languissant des nuits sereines. Les crapauds à tout instant jetaient par 
l'espace leur note courte et métallique, et des rossignols lointains 
mêlaient leur musique égrenée qui fait rêver sans faire penser, leur 
musique légère et vibrante, faite pour les baisers, à la séduction du clair 
de lune. 
L'abbé se remit à marcher, le coeur défaillant, sans qu'il sût pourquoi. Il 
se sentait comme affaibli, épuisé tout à coup; il avait une envie de 
s'asseoir, de rester là, de contempler, d'admirer Dieu dans son oeuvre. 
Là-bas, suivant les ondulations de la petite rivière, une grande ligne de 
peupliers serpentait. Une buée fine, une vapeur blanche que les rayons 
de lune traversaient, argentaient, rendaient luisante, restait suspendue 
autour et au-dessus des berges, enveloppait tout le cours tortueux de 
l'eau d'une sorte de ouate légère et transparente. 
Le prêtre encore une fois s'arrêta, pénétré jusqu'au fond de l'âme par un 
attendrissement grandissant, irrésistible. 
Et un doute, une inquiétude vague l'envahissait; il sentait naître en lui 
une de ces interrogations qu'il se posait parfois. Pourquoi Dieu avait-il 
fait cela? Puisque la nuit est destinée au sommeil, à l'inconscience, au 
repos, à l'oubli de tout, pourquoi la rendre plus charmante que le jour, 
plus douce que les aurores et que les soirs, et pourquoi cet astre lent et 
séduisant, plus poétique que le soleil et qui semble destiné, tant il est 
discret,    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
