trouver à la vie sauvage «tant de charme».) Et voici d'excellent 
Bernardin de Saint-Pierre, avec peut-être quelque chose de plus vif 
dans le pittoresque: 
À quelque distance du rivage, à l'ombre d'un cyprès chauve, nous 
remarquâmes de petites pyramides limoneuses qui s'élevaient sous l'eau 
et montaient jusqu'à sa surface. Une légion de poissons d'or faisait en 
silence les approches de la citadelle. Tout à coup l'eau bouillonnait; les 
poissons d'or fuyaient. Des écrevisses armées de ciseaux, sortant de la 
place insultée, culbutaient leurs brillants ennemis. Mais bientôt les 
bandes éparses revenaient à la charge, faisaient plier à leur tour les 
assiégés, et la brave mais lente garnison rentrait à reculons pour se 
réparer dans la forteresse. 
Ou bien: 
De toutes les parties de la forêt, les chauves-souris accrochées aux 
feuilles élèvent leur chant monotone: on croirait ouïr un glas continu. 
Ou encore: 
Les canards branchus, les linottes bleues, les cardinaux, les 
chardonnerets pourpres brillent dans la verdure des arbres; l'oiseau
whet-shaw imite le bruit de la scie, l'oiseau-chat miaule, et les 
perroquets qui apprennent quelques mots autour des maisons les 
répètent dans les bois. 
Déjà, pourtant, certaines inventions verbales et certaines harmonies 
présagent, semble-t-il, le Chateaubriand futur: 
Minuit. Le feu commence à s'éteindre, le cercle de sa lumière se rétrécit. 
J'écoute: un calme formidable pèse sur ces forêts; on dirait que des 
silences succèdent à des silences. Je cherche vainement à entendre dans 
un tombeau universel quelque bruit qui décèle la vie. D'où vient ce 
soupir? D'un de mes compagnons: il se plaint, bien qu'il sommeille. Tu 
vis, donc tu souffres: voilà l'homme. 
Ce n'est pas mal, pour un garçon de vingt-deux ans. Mais peut-être 
a-t-il un peu arrangé cela pour l'édition de 1827. Avec lui, on ne sait 
jamais. 
Nous l'avons laissé au moment où il s'embarquait, pour le Havre. Il 
nous dit que ce départ soudain fut le résultat d'un débat de conscience, 
qu'il lui parut que c'était pour lui un devoir de revenir au secours du roi, 
«quoique les Bourbons n'eussent pas besoin d'un cadet de Bretagne». 
Mais, un peu plus loin, à l'heure de rejoindre l'armée des princes, il 
prévoit toutes les objections qu'on peut lui faire et s'apprête à les réfuter, 
fort posément et du ton d'un homme qui ne se fait point d'illusions. 
Cela ne lui apparaissait donc pas, en tout cas, comme un devoir si 
impérieux. Je crois que, tout simplement, il en avait assez de 
l'Amérique, comme peut-être, lorsqu'il était parti pour l'Amérique, il en 
avait assez de la France. C'était une âme invinciblement inquiète. 
Un peu avant d'aborder à Saint-Malo, il est assailli par une terrible et 
fort belle tempête, qui accroît son magasin de sensations et d'images. 
Puis il s'en va à Saint-Malo et se marie. 
Pourquoi? pourquoi? pourquoi? C'est affreusement simple. Il s'est 
aperçu qu'il n'avait pas assez d'argent pour rejoindre les princes. «On 
me maria, dit-il, afin de me procurer le moyen de m'aller faire tuer pour
une cause que je n'aimais pas.» Il épouse une orpheline, mademoiselle 
Céleste Buisson de la Vigne, «blanche, délicate, mince et fort jolie», 
qu'il avait aperçue trois ou quatre fois, et dont «on estimait la fortune de 
cinq à six cent mille francs». C'était donc un mariage riche. Mais il se 
trouva que la fortune de sa femme était en rentes sur le clergé: «La 
nation se chargea de les payer à sa façon...» Il faudra emprunter; un 
notaire lui procurera dix mille francs. Au moment de partir, il les jouera, 
et les perdra, sauf quinze cents francs. C'est avec ces quinze cents 
francs qu'il partira pour l'armée des princes. Ce n'était pas la peine de 
prendre femme pour cela... Il faut dire que c'est sa soeur Lucile qui l'a 
voulu marier. Peut-être verrons-nous plus tard les raisons qu'elle en 
avait. 
À peine marié, il quitte sa jeune femme. Il l'oubliera totalement pendant 
douze ans. Avant son départ, il revoit à Paris M. de Malesherbes et lui 
soumet ses scrupules sur l'émigration. Car, dit-il, «mon peu de goût 
pour la monarchie absolue ne me laissait aucune illusion sur le parti 
que je prenais.» M. de Malesherbes répond à ses objections. «Il me cita 
des exemples embarrassants. Il me présenta les Guelfes et les Gibelins 
s'appuyant des troupes de l'empereur ou du pape; en Angleterre les 
barons se soulevant contre Jean sans Terre; enfin, de nos jours, il citait 
la république des États-Unis implorant le secours de la France.» Mais 
Chateaubriand nous donne ensuite le vrai mobile de son acte: «Je ne 
cédai réellement qu'au mouvement de mon âge, au point d'honneur.» 
Deux décrets ayant déjà frappé les émigrés, «c'était dans ces rangs déjà 
proscrits, dit-il, que j'accourais me placer... La menace du plus fort me 
fait toujours passer du côté du plus faible». Là, il ne ment pas. L'orgueil, 
l'impossibilité de «subir», l'impossibilité d'être    
    
		
	
	
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