Cham et Japhet | Page 5

Ausone de Chancel
former le massacre et la révolte, ne songeant qu'à pousser avec une profonde perfidie les noirs sur les blancs, les blancs sur les noirs, à irriter les uns par les autres, à triompher au milieu du massacre général et à remplacer Toussaint dont il avait le premier demandé l'arrestation.?
[Note 12: Le général Rames, cité par Lamartine]
Toussaint était un hypocrite en politique et en morale.--Dessalines était un impudent d'immoralité. Le soir, il jetait son manteau impérial aux orties pour rentrer plus à l'aise dans son r?le natif de sauvage et s'enivrer d'amour brutal et de tafia, en dansant la bamboula[13].
[Note 13: D'Alaux, Soulouque et son Empire]
Abrégeons: laissons les assassins de Dessalines,--Christophe, dans le nord de l'?le, jouant au saint Louis en rendant la justice sous un cocotier, avec cette modification qu'il condamnait toujours à mort;--et Pétion, dans le sud, où, disait-il, ?il aurait créé une France nouvelle,? si son peuple n'e?t traduit la liberté républicaine par le droit de ne rien faire, vivant à la grace de Dieu du pain quotidien du bananier.
Découragé par ce résultat en sens inverse de celui qu'il avait rêvé, Pétion se laissa mourir de faim, en même temps à peu près que Christophe, dans un accès de rage, se déchargeait un pistolet dans le coeur.
Le général Boyer recueillit leur double héritage, non sans s'aider de quelques massacres, bien entendu; mais du moins était-ce on homme hors ligne que celui-là, tout impuissant qu'il ait été à vaincre la paresse des ateliers, malgré son code draconien, et à dominer l'opinion systématiquement stupide qui, du sénat, avait gagné les masses à l'état de conspiration.--Pressé par la révolte, moins encore que pris par le dégo?t, Boyer s'embarque pour la Jama?que.
Encore l'anarchie avec les deux Hérard, Salomon, Dalzo, Pierrot, le féroce Accaau et Guerrier, qu'un intérêt commun porte à la présidence et qui, pour avoir coupé court à son état d'ivresse habituelle, meurt d'un excès de sobriété.--Pierrot n'arrive au pouvoir que pour y jouer le double r?le de tyran et de niais. On a conservé de lui cette sentence mémorable par laquelle, en vertu du privilége inhérent à sa position de chef de l'état, il commua en peine de mort une condamnation à trois mois de prison.
L'intelligent Riché ?réalise un moment l'idéal d'un gouvernement ha?tien,? mais il est emporté par une mort subite; et, au grand étonnement de tous les partis, Faustin Soulouque, ancien palefrenier du général Lamarre et son aide de camp, attaché ensuite, en fa?on de secrétaire des commandements, à la belle mulatresse de Boyer, puis général et commandant du palais, parvenu d'antichambre, enfin, est élevé à la présidence.
C'était un ci-devant beau dans son espèce; timide, balbutiant en public, poltron au feu et croyant aux sorciers plus qu'à Dieu, jusque-là que, le jour de sa consécration par un Te Deum, il repoussa, comme ensorcelé, le fauteuil qui lui avait été préparé dans l'église.
Le Parlement ha?tien s'était donné là, pensait-il, un président soliveau, comme tout Parlement constitutionnel, blanc ou nègre, les aime. L'erreur ne fut pas de longue durée: par un effet combiné du pouvoir qu'il avait en mains et de sa peur de tout, peur du sénat, des fonctionnaires, de la bourgeoisie, de ses généraux même, des mulatres surtout et des esprits, Soulouque s'était transformé en terroriste. La première année de son gouvernement fut un long massacre d'un bout à l'autre de l'?le, mais qui s'inaugura dans la capitale où se ramifiait nécessairement une insurrection prétendue des mulatres du sud.
Massacre par le sabre, la fusillade et la mitraille, au coin des rues, sur les places publiques, dans la cour du palais de la présidence et jusque dans la Chambre des représentants, de ministres, de sénateurs, de généraux, de fonctionnaires, de bourgeois, tous plus ou moins jaunes ou suspects, à ce point que plusieurs administrations cessèrent de fonctionner faute d'écrivains.
Port-au-Prince pacifié, il fallait pacifier le sud: Soulouque s'y fait suivre par une armée et par les anciens bandits d'Accaau, semant sur sa route des proclamations qui toutes commen?aient par quiconque, et se terminaient invariablement par sera fusillé.
Massacre par exécution sommaire, par commission militaire, par irruption, par guet-apens aux Cayes, à Aquin, à Jérémie, à Cavaillon, où le chef de bande Voltaire Castor, ancien for?at, poignarde de sa main soixante-dix noirs, compromis par leurs relations avec les mulatres, et coupables d'être riches, en vertu de cet axiome d'Accaau: _Nègue riche cila mulate_.
C'est ainsi que Soulouque préludait à sa mascarade impériale, avec ses ducs de Marmelade, de Limonade et de Trou-Bonbon; ses comtes de Coupe-Haleine, de la Seringue, de Numéro-Deux; ses barons de Gilles-Azor, ses chevaliers de Métamour-Bobo, et toute une aristocratie de chimpanzés, dont les noms incroyables illustrent le Moniteur ha?tien; mais sans une gourde dans le trésor public d'où ne sortent que des assignats, sans un navire dans les ports, sans industrie, sans commerce, sans agriculture sur le sol le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 49
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.