le fils, car les 
distractions les plus agréables de son enfance, c'était dans ce magasin 
que mademoiselle Daguillon les avait trouvées, écoutant, regardant 
curieusement les clients, admirant les pièces d'orfèvrerie exposées dans 
les vitrines, et la plus heureuse petite fille du monde lorsqu'on lui 
permettait d'en prendre quelques-unes (de celles qui n'étaient pas 
terminées bien entendu) pour jouer à la marchande avec ses camarades. 
Mais était-il sage de s'inquiéter de l'apathie d'un enfant? plus tard la 
raison viendrait, et, quand il comprendrait la vie, il ne resterait 
assurément pas insensible aux avantages que sa naissance lui donnait. 
L'âge seul était venu, et lorsque, ses études finies, Léon était entré dans 
la maison paternelle, il avait gardé son apathie et son indifférence, 
restant de glace pour les joies commerciales, insensible aux bonnes 
aussi bien qu'aux mauvaises affaires. 
Sans doute il n'avait pas nettement déclaré qu'il ne voulait point être 
commerçant, car il n'était point dans son caractère de procéder par des
affirmations de ce genre. D'humeur douce, ayant l'horreur des 
discussions, aimant tendrement son père et sa mère, enfin étant habitué 
depuis son enfance à entendre les espérances de ses parents, il ne s'était 
pas senti le courage de dire franchement que la gloire d'être un 
Daguillon ne l'éblouissait pas, et qu'il ne sentait pas la vocation 
nécessaire pour remplir convenablement ce rôle. 
Mais, ce qu'il n'avait pas dit, il l'avait laissé entendre, sinon en paroles, 
au moins en actions, par ses manières d'être avec les clients, avec les 
employés, les ouvriers, avec tous et dans toutes les circonstances. 
Si M. et madame Haupois-Daguillon avaient exigé de leur fils le zèle et 
l'exactitude d'un commis ou d'un associé, ils auraient pu s'expliquer son 
apathie et son indifférence par la paresse; mais cette explication n'était 
malheureusement pas possible. 
Léon n'était pas paresseux; collégien, il avait figuré parmi les lauréats 
du grand concours; élève de l'École de droit, il avait passé tous ses 
examens régulièrement et avec de bonnes notes; enfin, dans l'atelier où 
il avait appris le dessin, il avait acquis une habileté et une sûreté de 
main qu'une longue application peut seule donner. 
Et puis, d'autre part, ce n'était pas du zèle, ce n'était même pas du 
travail qu'ils lui demandaient. Le jour où ils l'avaient fait entrer dans 
leur maison, ils ne lui avaient pas dit: «Tu travailleras depuis sept 
heures et demie du matin jusqu'à neuf heures du soir, et tu emploieras 
ton temps sans perdre une minute.» Loin de là. Car ce jour même ils lui 
avaient offert un appartement de garçon luxueusement aménagé, avec 
deux chevaux dans l'écurie, un pour la selle, l'autre pour l'attelage, 
voiture sous la remise, cocher, valet de chambre; et un pareil cadeau, 
qui lui permettait de mener désormais l'existence d'un riche fils de 
famille, n'était pas compatible avec de rigoureuses exigences de travail. 
Aussi ces exigences n'existaient-elles ni dans l'esprit du père ni dans 
celui de la mère. Qu'il s'amusât. Qu'il prît dans le monde parisien la 
place qui selon eux appartenait à l'héritier de leur maison, cela était 
parfait; ils en seraient heureux; mais par contre cela n'empêchait pas 
(au moins ils le croyaient) qu'il s'intéressât aux affaires de cette maison, 
qui en réalité serait un jour, qui était déjà la sienne.
C'était là seulement ce qu'ils attendaient, ce qu'ils espéraient, ce qu'ils 
exigeaient de lui. 
Cependant si peu que cela fût, ils ne l'obtinrent pas. 
À quoi pouvait tenir son indifférence, d'où venait-elle? 
Ce furent les questions qu'ils agitèrent avec leurs amis et 
particulièrement avec le plus intime, un commerçant nommé Byasson, 
mais sans leur trouver une réponse satisfaisante, chacun ayant un avis 
différent. 
Ils s'arrêtèrent donc à cette idée, que les choses changeraient si, comme 
l'avait soutenu leur ami Byasson, on donnait à Léon un rôle plus 
important dans la direction de la maison, plus d'initiative, plus de 
responsabilité, et pour en arriver à cela, ils décidèrent de s'éloigner de 
Paris pendant quelque temps. 
Depuis plusieurs années, les médecins conseillaient à M. Haupois 
d'aller faire une saison aux eaux de Balaruc, dans l'Hérault. Il avait 
toujours résisté aux médecins. Il céda. La femme accompagna le mari. 
Léon, resté seul maître de la maison, serait bien forcé de prendre 
l'habitude de diriger tout et de commander à tous; même aux vieux 
employés, qui jusqu'à ce jour l'avaient traité un peu en petit garçon. 
Cependant il ne dirigea rien et ne commanda à personne, ni aux jeunes 
ni aux vieux employés. 
 
II 
Le départ de son père et de sa mère lui avait imposé une obligation qu'il 
avait dû accepter, si désagréable qu'elle fût: c'était d'abandonner son 
appartement de la rue de Rivoli pour coucher rue Royale. 
Lorsque le dernier des Daguillon, qui était le père de madame Haupois, 
avait quitté le quartier du Louvre, où sa maison avait été fondée, pour    
    
		
	
	
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