Bouddha | Page 2

Jules Claretie
cependant promenant mes os un peu partout, quitte �� les laisser un jour quelque part! Mais, parole d'honneur, il n'y a que Paris au monde! Tiens, il n'y a pas de paysage d'Asie, de nuit d'Alg��rie, rien qui vaille cette carte d'��chantillon que nous voyons d'ici!... Oui, l��, ces affiches!
Il montrait du doigt, �� l'��talage de l'Agence des Th��atres, les affiches jaunes, bleues, saumon ou roses, et les placards enlumin��s de coloriage, qui donnaient les titres des pi��ces qu'on jouait le soir, les programmes illustr��s de l'Hippodrome ou de l'��den.
--Ce coin de paysage-l��, mon cher Roger, ?a vaut tous les autres!... Ah! les th��atres! Quand on a ��t�� voir jouer, sur le th��atre d'Alger, la Favorite ou la Mascotte, par de v��n��rables personnes qui on pourrait distribuer la Guanhumara des Burgraves, et qu'on a essay�� d'avaler les drames chinois que les acteurs d'Hu�� d��vident pendant des jours et des jours, comme un rouleau sans fin,--les drames en trois soir��es du p��re Dumas sont des levers de rideau c?t�� de ?a;--quand on a ��t�� sevr�� des acteurs de Paris, si tu savais ce que ces bouts d'affiche contiennent de promesses et d'all��chements!...
L'officier s'arr��ta, laissant un moment sa pens��e se fondre comme son londr��s, puis tout �� coup il se redressa brusquement sur sa chaise. Par-dessus le bourdonnement des chars et le bruit de houle des passants, un air sautillant et vif, un air d'op��rette enlev�� gaiement sur un piano, venait �� lui, comme une bouff��e de vent, par quelque fen��tre ouverte.
--Tiens! dit-il, l'air de Bouddha!...
--Bouddha?
--Oui, dans l'op��rette des Nouveaut��s, la _Petite Mousm��e_, tu sais bien....
--Non.
--L'air que chantait Antonia Boulard.
--Ah! ah! Antonia! Encore!
--Toujours, fit le turco en essayant de sourire. Quoique... si tu savais, mon cher!
Il s'arr��ta encore, ��coutant toujours l'air p��tillant qui montait vers lui comme une mousse de champagne au haut du verre, et, instinctivement, ses doigts battant la mesure sur la table de marbre, il se laissait aller �� murmurer le fredon d'autrefois, le couplet de la petite mousm��e d'Yokohama, amoureuse du dieu Bouddha:
Ah! Bouddha, Bouddha, Mon petit Bouddha, Que tu m'as fait de la peine! Bouddha me bouda Le cruel Bouddha! Je l'implore �� perdre haleine! Ah! Bouddha, Cher Bouddha, Doux Bouddha...
Et pendant qu'il murmurait, dans sa moustache blonde, le couplet de l'op��rette oubli��e,--du succ��s parisien d'il y avait trois hivers,--le joli gar?on rieur devenait s��rieux; lentement une ride se creusait entre ses sourcils, et son oeil bleu, son oeil franc, clair et bon, s'emplissait comme d'un voile de brume.
Bouddha me bouda, Le cruel Bouddha....
--Est-ce dr?le, dit-il tout �� coup en s'interrompant, il m'��nerve maintenant, ce refrain-l��! Et je l'ai tant chant�� et rechant�� l��-bas!... Bouddha! Je ne t'ai pas dit l'histoire du Bouddha d'Antonia?... Non?... Comique et triste, cette histoire-l��, mon cher!... Antonia!... Ah! la jolie fille!... Et bonne fille! Grande, blonde, gaie, des dents de mangeuse, des l��vres de joyeuse, tout cela app��tissant, sain et solide!... Nous avions commenc�� par nous d��tester, je ne sais pas pourquoi. Un souper, au Cercle, apr��s une revue de fin d'ann��e, o�� elle avait figur�� je ne sais quel personnage... le Nouveau Timbre-poste ou le D��tective dans l'embarras.... Plac��e �� c?t�� de moi.... J'avais voulu faire de l'esprit, elle ne m'avait pas trouv�� dr?le et me l'avait dit. Six mois apr��s, nous nous adorions. Quand je dis nous, moi je l'adorais. Elle ne me d��testait probablement pas. Bonne cr��ature, Antonia! Et camp��e!... Du reste, tu la connais.
--Par les photographes.
--?a suffit. J'��tais d��tach�� au minist��re de la guerre. Beaucoup de temps moi. J'ai vu quatre-vingts fois de suite la _Petite Mousm��e_, l'op��rette japonaise laquelle avait collabor�� Yamato, le charg�� d'affaires du Japon. Tr��s gentille dans la _Petite Mousm��e_, Antonia! Sa robe de soie bleu ciel �� fleurs jet��es lui collait comme �� la peau et la moulait comme ces voiles mouill��s que les sculpteurs jettent sur leur terre fra?che. C'��tait, mon cher, sous cette caresse du satin, la femme m��me, la femme attirante, vivante, avec sa beaut�� imp��rieuse et saine, que le public avait sous les yeux. Les marchands de lorgnettes ont d? faire leurs frais. Et de cette robe bleue une nuque blanche sortait, un cou ��l��gant mis �� nu par les cheveux relev��s en bloc, et retenus, au haut de la t��te, par une grosse ��pingle d'or. Les oreilles charnues, les joues �� fossettes, les l��vres, le rire d'Antonia, ont ��t�� pour cinquante pour cent dans le succ��s de la _Petite Mousm��e_. Quant �� Lafertrille, qui jouait Bouddha, jamais il n'avait ��t�� plus dr?le. A propos, de quoi est-il mort, Lafertrille?
--De la maladie moderne: l'ataxie locomotrice! Trop de petites mousm��es. Et quand il est mort les chroniqueurs ont dit: ?Encore un qu'on ne remplacera pas!? Et maintenant Galivet a repris les r?les de Lafertrille, et qui parle de Lafertrille maintenant qu'on a Galivet? Galivet est gras, Lafertrille ��tait maigre.
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