et, dans quatre ou cinq 
jours... 
--Eh! eh! a ricané M. Beaudrain en saluant ma soeur, les dames sont toujours pressées. 
J'apprenais justement à monsieur votre père, mademoiselle, qu'un de mes amis, capitaine 
d'artillerie, que j'ai rencontré en venant ici, m'a dit... 
Ce matin, à neuf heures, mon père m'a envoyé chercher le journal à la gare. 
--Tu demanderas le Figaro. 
J'ai demandé le Figaro.
--Vous ne préférez pas le Gaulois ou le Paris-Journal? insinue la marchande qui est 
justement en train de lire, derrière sa table, le dernier numéro qui lui reste. 
--Non, non, le Figaro. 
Elle replie lentement la feuille et me la tend en soupirant. Comme ça doit être intéressant! 
Au coin de la rue, je déplie à demi le journal. On me défend de le lire, à la maison; mais 
tant pis, je risque un oeil--un oeil que tire un titre flamboyant: La Guerre. 
Je dévore l'article. Non plus furtivement, comme je fais quelquefois, un oeil déchiffrant 
les lignes aperçues dans l'entre-bâillement du papier, un oeil explorant les environs, mais 
sans gêne, tranquillement, coram populo, portant le journal tout déplié devant moi, à bras 
tendus, comme une affiche que je vais coller le long d'un mur. Et, quand je le ferme, à 
vingt pas de la maison, des phrases dansent encore devant moi, pesantes comme des 
massues, des lignes longues, droites comme des épées, les petites lignes des alinéas 
acérées comme des couteaux; j'ai dans la tête comme un remuement d'armes, un cliquetis 
de ferrailles. Je réciterais l'article d'un bout à l'autre, j'indiquerais la place des virgules et 
même des points d'exclamation: 
«Le tambour bat, le clairon sonne,--c'est la guerre! Aux armes! Aux armes! 
«... Aux armes! Sus à ces beaux fils de la sabretache, qui épient à l'horizon les 
baïonnettes de la France!... 
«... Place au canon! Et chapeau bas! Il va faire la trouée à la civilisation! A l'humanité!... 
C'est sa voix qui va chanter l'hosanna de la victoire! 
«... La France reculer?... C'est le soleil qui s'arrête... Et quel est le nouveau Josué qui fera 
reculer le soleil de la France?... Moltke, peut-être?...!!!--» 
Je suis empoigné... 
*** 
--Tu as l'air tout chose, Jean, me dit mon père à déjeuner. 
--C'est probablement la déclaration de de guerre qui le tracasse, répond ma soeur en 
ricanant. 
Je ne réplique pas. A quoi bon? Cette pimbêche de Louise se figure que je suis trop petit 
pour m'occuper de politique et, à deux ou trois questions, que je lui ai posées ce matin 
elle m'a fait des réponses moqueuses. Mais, attends un peu, ma belle, dans cinq ou six ans 
je m'en occuperai, de politique; et tant que je voudrai, encore. Tandis que toi, tu n'es 
qu'une femme; et les femmes... Quand j'en aurai une, je ne lui permettrai de lire que les 
faits-divers, dans mon journal. Et si Jules n'est pas un imbécile, il fera comme moi. Il 
faudra que je le lui dise, tout à l'heure.
Je le lui dis. Je le retiens dans un coin de sa maison de l'avenue de Villeneuve-l'Étang où 
nous avons été lui rendre visite, l'après-midi, et je lui explique mon système. Il m'écoute 
en souriant. 
--Tu n'as peut-être pas tort, mon ami. Seulement, tu oublies une chose: c'est que je ne suis 
pas encore ton beau-frère et que... 
--Oh! c'est tout comme, Jules, car dans deux mois Louise et toi vous serez mariés. 
--Et si la guerre tourne mal? 
Je répondrais bien que ce n'est pas possible, mais il faudrait avouer que j'ai lu le journal 
qui prédit la victoire, et j'aime mieux ne pas répondre, passer pour manquer 
d'informations. 
Je suis Jules au jardin où Léon, le frère de Jules, un garçon de mon âge, et Mlle Gâteclair, 
leur tante, causent avec mon père et ma soeur. Ils parlent de certains changements à 
apporter à l'arrangement du terrain. 
--Il faudrait avant tout, dit Louise, un massif d'arbres verts pour cacher le réservoir. 
--Jules y a songé ce matin, répond Mlle Gâteclair. 
--Et que penseriez-vous, fait mon père qui vient de réfléchir profondément, sa canne sous 
le bras, son menton dans la main, que penseriez-vous d'une jolie corbeille de verveines ou 
de géraniums au milieu de cette pelouse? 
--Ce serait gentil, dit Jules. 
--Adorable, s'écrie Louise. 
--Maintenant, continue mon père en se pourléchant les lèvres et en arrondissant les bras, 
on pourrait égayer un peu la façade en plaçant, par exemple, à droite une boule rouge, à 
gauche une boule verte et au milieu une boule dorée. Hein? Ce serait-il gentil? 
--Charmant! Charmant! 
Ça me paraît bête, tout simplement. On ferait bien mieux de conserver cette grande 
pelouse où l'on peut se rouler à son aise et faire de bonnes parties de quilles. Depuis un 
mois, chaque fois que nous venons chez Jules, c'est pour dresser des plans dont 
l'exécution doit    
    
		
	
	
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