réflexions 
sur la lâche conduite des jeunes gens à l'auberge de l'Aigle d'or; mais 
Jean Wouters, abîmé dans ses pénibles pensées, ne prit plus part à 
l'entretien que par quelques monosyllabes. 
Lina se leva, passa dans la chambre voisine et revint avec une pipe et 
une boite à tabac en cuivre. 
--Prenez, grand-père, dit-elle, voilà votre tabac. Laissons de côté toutes 
ces tristes pensées. Nous ne sommes pas riches et nous pouvons nous 
estimer heureux de n'être pas coupables de ces vilaines choses. 
Faites-moi le plaisir d'allumer votre pipe. 
--Non, je n'en ai pas envie, répondit-il. 
--Je vous en prie, faites ça pour moi, j'aime tant l'odeur du tabac. Elle 
me rafraîchit les idées et me rend toute joyeuse... Allons, ne me refusez 
pas ce petit plaisir. 
Pendant ce temps, elle avait bourré elle-même la pipe et la tendit au 
vieillard avec une allumette enflammée. 
Il commença à fumer; et cela devait véritablement lui faire du bien, car 
petit à petit son visage s'illumina d'une expression de contentement. 
Lina reprit son carreau à dentelles et la mère son tricot. 
Alors commença une conversation plus tranquille, où le jardin, le 
printemps et les vaches eurent la plus grande part.
Pendant qu'ils causaient ainsi, ils entendirent dans le lointain des voix 
qui chantaient ou qui criaient. 
--Ce sont les jeunes messieurs de l'Aigle d'or, dit Jean Wouters. Ils se 
rendent au chemin de fer pour prendre le dernier train. Leur bamboche 
a duré jusqu'à présent. 
--Il me semble qu'ils se disputent, remarqua Lina. 
--Non, ils se connaissent très bien et ils sont habitués à faire une vie 
pareille. Depuis une couple de mois ils viennent une ou deux fois par 
semaine à l'Aigle d'or et y font toujours la même vie, à ce que m'a dit la 
servante... Maintenant, ils chantent et ils crient. Tenez, le bruit cesse. 
Ils se dépêchent pour arriver au chemin de fer. 
Nos braves gens écoutèrent encore un instant le bruit qui allait en 
s'affaiblissant, puis ils reprirent leur travail et leur conversation. 
Une demi-heure après, pendant que le plus profond silence de la nuit 
régnait autour de la maison solitaire, Lina leva tout à coup la tête avec 
surprise de dessus son travail et demanda: 
--N'avez-vous pas entendu, mère? 
--Qu'aurais-je entendu, mon enfant? 
--Et vous, grand-père? 
--Non, rien, Lina. 
--Il m'a semblé que j'entendais soupirer; mais je me suis trompée, ce 
sera la vache qui aura fait du bruit... Mais non, voilà que je l'entends 
encore! 
--C'est comme s'il y avait à la porte un chien qui gronde, murmura la 
femme. 
--Non, ma mère, c'est un homme qui souffre et qui se plaint.
Et elle prit la lampe pour aller voir. 
--Reste, reste, s'écria la mère en la retenant effrayée. Dieu sait ce que 
c'est! 
--C'est une créature humaine, soyez-en sûre. Un homme qui s'est égaré 
dans les ténèbres et qui est tombé, sans doute. Il s'est peut-être fait mal. 
Le laisserons-nous, sans pitié, appeler au secours? 
--Lina a raison, dit le vieux charpentier. Prends la lampe, mon enfant, 
nous irons voir. 
Lorsqu'elle eut ouvert la porte et envoyé les rayons de sa lumière sur 
l'avant-cour, ils virent, étendue au pied d'un des noyers, une personne 
qui remuait les bras et murmurait des menaces inintelligibles comme si 
elle se croyait entourée d'ennemis. 
Le vieillard et la jeune fille s'approchèrent vivement et passèrent tous 
deux le bras sous la tête de l'inconnu pour le relever. 
--Pauvre garçon, dit Lina, qui vous a fait du mal? De méchantes gens? 
N'ayez plus peur; nous sommes des amis. Allons, levez-vous, nous 
vous conduirons dans la maison; nous vous donnerons des secours. 
Ils furent obligés d'employer toutes leurs forces pour le relever; il 
laissait traîner ses jambes et pesait lourdement sur leurs bras. 
Cependant, ils parvinrent à le conduire lentement vers la maison. 
Pendant ce temps, il grommelait d'une voix rauque: 
--Au diable, laissez-moi, je ne vais pas avec vous, je veux retourner à 
l'Aigle d'or... Eh, l'hôte, vite du Champagne... dix bouteilles... c'est ça, 
versez... encore, encore... 
--C'est un des jeunes messieurs de l'Aigle d'or, murmura Jean Wouters. 
Oui, oui, le plus débauché de tous. Celui qui a mis la grande glace en 
pièces. Voilà le résultat de ces scandaleux excès et de... 
--Taisez-vous donc, grand-père, et ayez pitié de lui; le pauvre garçon
est si malade. 
--Étrange maladie; tu as raison cependant, ma chère enfant. Nous 
sommes des chrétiens et il peut avoir besoin de secours. Ne songeons 
qu'à remplir notre devoir. 
Ils le portèrent à l'intérieur et le placèrent sur une chaise. Il demeura 
immobile, affaissé sur lui-même et les yeux fermés comme un être 
inanimé. 
--Mère, mère, allez chercher de l'eau, dit la jeune fille. O ciel, voyez, il 
a du sang sur sa figure! Ah! le pauvre homme! 
Le jeune homme, à demi évanoui ou à demi endormi, avait    
    
		
	
	
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