ce que c'est, répondit la femme. Tu sais que, d'après les 
ordres de son maître, il devait aller cet après-midi à l'auberge de l'Aigle 
d'or pour établir un nouveau chantier dans la cave. C'est un ouvrage 
pressé et on le retiendra probablement là jusqu'à ce que le chantier soit 
achevé... Nous attendrons, je laisserai le fricot sur le poêle. Assieds-toi 
et repose-toi un peu, enfant. 
La jeune fille prit la chaise qu'on lui offrait et secoua la tête sans rien 
dire, comme si les dernières paroles de sa mère lui donnaient matière à 
réflexion. 
--A quoi songes-tu comme ça tout à coup? demanda la femme. 
--Et vous croyez, mère, que grand-père travaille comme cela au delà de 
son heure parce que son maître le lui a dit ou commandé? 
--Oui, mon enfant. 
--Non, non, cela n'est certes pas la raison, répliqua la jeune fille à demi 
fâchée. 
--Et quelle serait donc la raison, Lina? 
--Grand-père devient de plus en plus économe. Pour gagner quelques 
sous au-dessus de sa journée, il travaillerait même toute la nuit, si 
c'était possible. Le dimanche après-midi, il ne va plus jamais boire une 
pinte avec ses amis, et il n'allume plus que rarement une pipe, lui qui
auparavant avait l'habitude de fumer presque constamment à la maison. 
Le tabac est trop cher, dit-il. Vraiment, mère, cela me fait peine quand 
je le vois le soir regarder autour de lui d'un air si préoccupé. Je sais bien 
ce que ses yeux cherchent; mais il résiste à la tentation, pour épargner 
une couple de cents, souvent mon coeur se gonfle de pitié et il me 
prend des envies de pleurer; mais, Dieu merci, cela ne durera plus 
longtemps. 
--Non, cela ne durera plus longtemps, répéta la veuve avec un accent de 
tristesse, encore quelques mois. Ma grave maladie, qui m'a tenue alitée 
tout l'hiver, nous a mis en arrière. C'est un crève-coeur pour notre bon 
père. Jamais il n'a pu supporter l'idée d'avoir des dettes si petites 
qu'elles soient. Maintenant il travaille et il peine pour soulager nos 
épaules de ce fardeau. Laisse-le faire, Lina; tu sais que toutes les 
observations sur ce point restent inutiles. 
--Non, je ne le laisserai pas faire, murmura la jeune fille d'un ton résolu. 
Attendez un peu, je saurai bien le forcer à fumer sa pipe comme devant. 
--Le forcer? Comment t'y prendras-tu? 
--Vous verrez, ma mère, quand il sera temps. 
En achevant ces paroles, elle se dirigea vers un coin de la pièce, prit 
son carreau de dentellière et vint s'asseoir près de la table. Elle 
découvrit une large dentelle déjà en partie achevée et se mit à 
entremêler vivement ses fuseaux en répétant joyeusement: 
--Oui, oui, vous le verrez, mère... Vous me regardez si curieusement? 
Allons, je vais vous dire ce que j'ai imaginé depuis quelques jours. 
Dans une couple de semaines c'est l'anniversaire de grand-père, n'est-ce 
pas? Pour ce temps-là ma dentelle sera achevée et Thérèse, la 
colporteuse, m'en donnera à peu près dix-neuf francs. 
--Et tu veux faire cadeau d'un nouveau chapeau à grand-père? Je le sais 
depuis longtemps. 
--En effet, il va maintenant à l'église avec un vieux chapeau roux et les
gens parlent de cela. Puisqu'il ne veut pas en acheter un nouveau, c'est 
moi qui le ferai sans qu'il le sache... Mais ce n'est pas tout, mère. 
Baptiste, le fils du charron, a planté l'année dernière une grande pièce 
de tabac; il en a fait sécher et couper les feuilles; il en a sur son grenier 
la charge d'au moins trois brouettes. Les gens qui en ont acheté disent 
que ce tabac est d'une excellente qualité et d'un goût parfait. Eh bien, je 
vais acheter du charron plein mon tablier de tabac, et quand grand-père 
verra ce tas dans sa chambre il faudra bien qu'il fume, bon gré, mal gré. 
--Plein un tablier, perds-tu la tête, Lina? Tu ne peux pas faire cela. 
--Ne sommes-nous pas convenus, ma mère, que je puis disposer 
librement de l'argent que je gagne, en dehors de ma journée, à faire de 
la dentelle. 
--Oui, mais de cette façon tu ne garderas pas assez pour toi, pour 
t'acheter un nouveau mouchoir de tête pour l'été. 
--Bah, je travaillerai un peu plus tard le soir. 
--Non, pas ça, mon enfant, je ne puis pas le permettre. Juste ciel, ne 
travailles-tu pas déjà assez? 
--C'est égal, la conviction que j'ai de posséder un moyen de faire plaisir 
à grand-père me rend capable de tout. J'exécuterai mon projet, mère. 
--Silence là-dessus maintenant, Lina, dit la femme on posant un doigt 
sur ses lèvres. Voici grand-père qui vient, j'entends son pas. 
Un homme d'environ soixante-cinq ans, vêtu comme un ouvrier, avec 
une veste et un tablier, parut sur le seuil de la porte en murmurant un 
bonjour à voix basse. Il avait de larges épaules    
    
		
	
	
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