du plus honnête homme de mon pays. 
Oui, c'est bien vrai qu'il tient ton sort dans ses mains. Ah! dis-tu, s'il ne 
s'agissait que de la mériter? Es-tu sûr de n'avoir pas ajouté en 
toi-même: 
Paraissez, Navarrois, Maures et Castillans... 
Quel dommage que le temps de la chevalerie soit passé! Angéline aime 
les vaillants et les grands coups d'épée. 
Pendant les quatre mois qu'elle a passés au couvent lors du voyage de 
son père, nous allions souvent nous asseoir sous les érables de la cour 
des Ursulines; et là nous parlions des chevaliers. Elle aimait 
Beaumanoir,--celui qui but son sang dans le combat des Trente,--mais 
sa plus grande admiration était pour Duguesclin. Elle aimait à rappeler 
qu'avant de mourir, le bon connétable demanda son épée pour la baiser. 
Vraiment, c'est dommage que nous soyons dans le dix-neuvième siècle: 
j'aurais attaché à tes larmes les couleurs d'Angéline; puis, au lieu d'aller 
te conduire au bateau, je t'aurais versé le coup de l'étrier, et je serais 
montée dans la tour solitaire, où un beau page m'apporterait les 
nouvelles de tes hauts faits. 
Au lieu de cela, c'est le facteur qui m'apporte des lettres où tu 
extravagues, et c'est humiliant pour moi la sagesse de la famille. Tu 
sais que M. de Montbrun me demande souvent, comme Louis XIV à 
Mme de Maintenon: «Qu'en pense votre solidité?» Toi, tu ne sais plus 
me rien dire d'agréable, et le métier de confidente d'un amoureux est le 
plus ingrat qui soit au monde. 
Mille tendresses trop tendres à Angéline, et tout ce que tu vaudras à son
père. Dis-lui que je le soupçonne de songer à sa candidature, et un 
candidat, c'est une vanité. 
Je fais des voeux pour que tu continues à ne rien renverser à table. 
J'appréhendais des dégâts. 
Ne tarde pas davantage à poser la grande question. Aie confiance. Il ne 
peut oublier de qui tu es fils, et bien sûr qu'il n'est pas sans penser à 
l'avenir de sa fille, qui n'a que lui au monde. 
Mon cher, la maison est bien triste sans toi. 
Je t'embrasse. 
Mina. 
P.S.--Le docteur L..., qui flaire quelque chose, est venu pour me faire 
parler; mais je suis discrète. Je lui ai seulement avoué que tu m'écrivais 
avoir perdu le sommeil. 
--Miséricorde, m'a-t-il dit, il faut lui envoyer des narcotiques, vous 
verrez qu'il s'oubliera jusqu'à donner une sérénade. 
Et le docteur entonna de son plus beau fausset: 
Tandis que dans les pleurs en priant, moi, je veille, Et chante dans la 
nuit seul, loin d'elle, à genoux... 
Pardonne-moi d'avoir ri. Tu as peut-être la plus belle voix du pays, 
mais prends garde, M. de Montbrun dirait: 
Le vent qui vient à travers la montagne... 
Achève, et crois-moi, n'ouvre pas trop ta fenêtre aux vagues rumeurs de 
la nuit: tu pourrais t'enrhumer, ce qui serait dommage. Si absolument tu 
ne peux dormir, eh! bien, fais des vers. Nous en serons quittes pour les 
jeter au feu à ton retour. 
M.
(Maurice Darville à sa soeur) 
Chère Mina, 
Tu feins d'être ennuyée de mes confidences, mais si je te prenais au 
mot... comme tu déploierais tes séductions que de câlineries pour 
m'amener à tout dire! Pauvre fille d'Ève!... 
Mais ne crains rien. Je dédaigne les vengeances faciles. 
D'ailleurs, mon coeur déborde. Mina, je vis sous le même toit qu'elle, 
dans la délicieuse intimité de la famille; et il y a dans cette maison 
bénie un parfum qui me pénètre et m'enchante. 
Je me sens si différent de ce que j'ai coutume d'être. La moindre chose 
suffit pour m'attendrir, me toucher jusqu'aux larmes. Mina, je voudrais 
faire taire tous les bruits du monde autour de ce nid de mousse, et y 
aimer en paix. 
Qu'elle est belle! il y a en elle je ne sais quel charme souverain qui 
enlève l'esprit. Quand elle est là, tout disparaît à mes yeux, et je ne sais 
plus au juste s'il est nuit ou s'il est jour. 
On dit l'homme profondément égoïste, profondément orgueilleux, 
quelle est donc cette puissance de l'amour qui me ferait me prosterner 
devant elle? qui me ferait donner tout mon sang pour rien--pour le seul 
plaisir de le lui donner? 
Tout cela est vrai. Ne raille pas, Mina, et dis-moi ce qu'il faut dire à son 
père. Tu le connais mieux que moi, et je crains tant de mal m'y prendre, 
de l'indisposer. Puis, il a dans l'esprit une pointe de moquerie dont tu 
t'accommodes fort bien, mais qui me gêne, moi qui ne suis pas railleur. 
Tantôt, retiré dans ma chambre pour t'écrire, j'oubliais de commencer. 
Le beau rêve si doux à rêver m'absorbait complètement, et je fus bien 
surpris d'apercevoir M. de Montbrun, qui était entré sans que je m'en 
fusse aperçu, et debout devant moi, me regardait attentivement.
Il accueillit mes excuses avec cette grâce séduisante que    
    
		
	
	
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