à son père, pour lui 
fournir l'occasion d'un mensonge honorable et sans se douter que ce financier n'avait pas 
le même prestige aux yeux de Saint-Loup qu'aux siens. En réalité, il y avait au Cercle des 
Ganaches non point sir Rufus Israël, mais un de ses employés. Mais comme il était fort 
bien avec son patron, il avait à sa disposition des cartes du grand financier, et en donnait 
une à M. Bloch, quand celui-ci partait en voyage sur une ligne dont sir Rufus était 
administrateur, ce qui faisait dire au père Bloch: «Je vais passer au cercle demander une 
recommandation de sir Rufus.» Et la carte lui permettait d'éblouir les chefs de train. Les 
demoiselles Bloch furent plus intéressées par Bergotte et revenant à lui au lieu de 
poursuivre sur les «Ganaches», la cadette demanda à son frère du ton le plus sérieux du 
monde car elle croyait qu'il n'existait pas au monde pour désigner les gens de talent 
d'autres expressions que celles qu'il employait: «Est-ce un coco vraiment étonnant, ce 
Bergotte. Est-il de la catégorie des grands bonshommes, des cocos comme Villiers ou 
Catulle.» «Je l'ai rencontré à plusieurs générales, dit M. Nissim Bernard. Il est gauche, 
c'est une espèce de Schlemihl.» Cette allusion au comte de Chamisso n'avait rien de bien 
grave, mais l'épithète de Schlemihl faisait partie de ce dialecte mi-allemand, mi-juif, dont 
l'emploi ravissait M. Bloch dans l'intimité, mais qu'il trouvait vulgaire et déplacé devant 
des étrangers. Aussi jeta-t-il un regard sévère sur son oncle. «Il a du talent, dit Bloch.» 
«Ah!» fit gravement sa sur comme pour dire que dans ces conditions j'étais excusable. 
«Tous les écrivains ont du talent», dit avec mépris M. Bloch père. «Il paraît même, dit 
son fils en levant sa fourchette et en plissant ses yeux d'un air diaboliquement ironique 
qu'il va se présenter à l'Académie.» «Allons donc il n'a pas un bagage suffisant, répondit 
M. Bloch le père qui ne semblait pas avoir pour l'Académie le mépris de son fils et de ses 
filles. Il n'a pas le calibre nécessaire.» «D'ailleurs l'Académie est un salon et Bergotte ne 
jouit d'aucune surface», déclara l'oncle à héritage de Mme Bloch, personnage inoffensif 
et doux dont le nom de Bernard eût peut-être à lui seul éveillé les dons de diagnostic de 
mon grand'père, mais eût paru insuffisamment en harmonie avec un visage qui semblait 
rapporté du palais de Darius et reconstitué par Mme Dieulafoy, si choisi par quelque 
amateur désireux de donner un couronnement oriental à cette figure de Suse, ce prénom 
de Nissim n'avait fait planer au-dessus d'elle les ailes de quelque taureau androcéphale de 
Khorsabad. Mais M. Bloch ne cessait d'insulter son oncle, soit qu'il fût excité par la 
bonhomie sans défense de son souffre-douleur soit que la villa étant payée par M. Nissim 
Bernard, le bénéficiaire voulût montrer qu'il gardait son indépendance et surtout qu'il ne 
cherchait pas par des cajoleries à s'assurer l'héritage à venir du richard. Celui-ci était 
surtout froissé qu'on le traitât si grossièrement devant le maître d'hôtel. Il murmura une 
phrase inintelligible où on distinguait seulement: «Quand les Meschorès sont là.» 
Meschorès désigne dans la Bible le serviteur de Dieu. Entre eux les Bloch s'en servaient 
pour désigner les domestiques et en étaient toujours égayés parce que leur certitude de 
n'être pas compris ni des chrétiens ni des domestiques eux-mêmes, exaltait chez M. 
Nissim Bernard et M. Bloch leur double particularisme de «maîtres» et de «juifs». Mais 
cette dernière cause de satisfaction en devenait une de mécontentement quand il y avait 
du monde. Alors M. Bloch entendant son oncle dire «Meschorès» trouvait qu'il laissait 
trop paraître son côté oriental, de même qu'une cocotte qui invite ses amies avec des gens 
comme il faut, est irritée si elles font allusion à leur métier de cocotte, ou emploient des 
mots malsonnants. Aussi, bien loin que la prière de son oncle produisît quelque effet sur 
M. Bloch, celui-ci, hors de lui, ne put plus se contenir. Il ne perdit plus une occasion
d'invectiver le malheureux oncle. «Naturellement, quand il y a quelque bêtise 
prudhommesque à dire, on peut être sûr que vous ne la ratez pas. Vous seriez le premier à 
lui lécher les pieds s'il était là», cria M. Bloch tandis que M. Nissim Bernard attristé 
inclinait vers son assiette la barbe annelée du roi Sargon. Mon camarade depuis qu'il 
portait la sienne qu'il avait aussi crépue et bleutée ressemblait beaucoup à son 
grand-oncle. 
-- «Comment, vous êtes le fils du marquis de Marsantes, mais je l'ai très bien connu», dit 
à Saint-Loup M. Nissim Bernard. Je crus qu'il voulait dire «connu» au sens où le père de 
Bloch disait qu'il connaissait Bergotte, c'est-à-dire de vue. Mais il ajouta: «Votre père 
était un de mes bons amis.» Cependant Bloch était devenu excessivement rouge, son père 
avait l'air    
    
		
	
	
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