Les mille et une nuits | Page 3

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cheval, et entrèrent dans la ville aux acclamations d'une foule innombrable de peuple. Le sultan conduisit le roi son frère jusqu'au palais qu'il lui avait fait préparer: ce palais communiquait au sien par un même jardin; il était d'autant plus magnifique, qu'il était consacré aux fêtes et aux divertissements de la cour; et on en avait encore augmenté la magnificence par de nouveaux ameublements.
Schahriar quitta d'abord le roi de Tartarie, pour lui donner le temps d'entrer au bain et de changer d'habit; mais dès qu'il sut qu'il en était sorti, il vint le retrouver. Ils s'assirent sur un sofa, et comme les courtisans se tenaient éloignés par respect, ces deux princes commencèrent à s'entretenir de tout ce que deux frères, encore plus unis par l'amitié que par le sang, ont à se dire après une longue absence. L'heure du souper étant venue, ils mangèrent ensemble; et après le repas, ils reprirent leur entretien, qui dura jusqu'à ce que Schahriar, s'apercevant que la nuit était fort avancée, se retira pour laisser reposer son frère.
L'infortuné Schahzenan se coucha; mais si la présence du sultan son frère avait été capable de suspendre pour quelque temps ses chagrins, ils se réveillèrent alors avec violence; au lieu de go?ter le repos dont il avait besoin, il ne fit que rappeler dans sa mémoire les plus cruelles réflexions; toutes les circonstances de l'infidélité de la reine se présentaient si vivement à son imagination, qu'il en était hors de lui-même. Enfin, ne pouvant dormir, il se leva; et se livrant tout entier à des pensées si affligeantes, il parut sur son visage une impression de tristesse que le sultan ne manqua pas de remarquer: ?Qu'a donc le roi de Tartarie? disait-il; qui peut causer ce chagrin que je lui vois? Aurait-il sujet de se plaindre de la réception que je lui ai faite? Non: je l'ai re?u comme un frère que j'aime, et je n'ai rien là-dessus à me reprocher. Peut-être se voit-il à regret éloigné de ses états ou de la reine sa femme. Ah! si c'est cela qui l'afflige, il faut que je lui fasse incessamment les présents que je lui destine, afin qu'il puisse partir quand il lui plaira, pour s'en retourner à Samarcande.? Effectivement, dès le lendemain il lui envoya une partie de ces présents, qui étaient composés de tout ce que les Indes produisent de plus rare, de plus riche et de plus singulier. Il ne laissait pas néanmoins d'essayer de le divertir tous les jours par de nouveaux plaisirs; mais les fêtes les plus agréables, au lieu de le réjouir, ne faisaient qu'irriter ses chagrins.
Un jour Schahriar ayant ordonné une grande chasse à deux journées de sa capitale, dans un pays où il y avait particulièrement beaucoup de cerfs, Schahzenan le pria de le dispenser de l'accompagner, en lui disant que l'état de sa santé ne lui permettait pas d'être de la partie. Le sultan ne voulut pas le contraindre, le laissa en liberté et partit avec toute sa cour pour aller prendre ce divertissement. Après son départ, le roi de la Grande Tartarie, se voyant seul, s'enferma dans son appartement. Il s'assit à une fenêtre qui avait vue sur le jardin. Ce beau lieu et le ramage d'une infinité d'oiseaux qui y faisaient leur retraite, lui auraient donné du plaisir, s'il e?t été capable d'en ressentir; mais, toujours déchiré par le souvenir funeste de l'action infame de la reine, il arrêtait moins souvent ses yeux sur le jardin, qu'il ne les levait au ciel pour se plaindre de son malheureux sort.
Néanmoins, quelque occupé qu'il f?t de ses ennuis, il ne laissa pas d'apercevoir un objet qui attira toute son attention. Une porte secrète du palais du sultan s'ouvrit tout à coup, et il en sortit vingt femmes, au milieu desquelles marchait la sultane[3] d'un air qui la faisait aisément distinguer. Cette princesse, croyant que le roi de la Grande Tartarie était aussi à la chasse, s'avan?a avec fermeté jusque sous les fenêtres de l'appartement de ce prince, qui, voulant par curiosité l'observer, se pla?a de manière qu'il pouvait tout voir sans être vu. Il remarqua que les personnes qui accompagnaient la sultane, pour bannir toute contrainte, se découvrirent le visage qu'elles avaient eu couvert jusqu'alors, et quittèrent de longs habits qu'elles portaient par- dessus d'autres plus courts. Mais il fut dans un extrême étonnement de voir que dans cette compagnie, qui lui avait semblé toute composée de femmes, il y avait dix noirs, qui prirent chacun leur ma?tresse. La sultane, de son c?té, ne demeura pas longtemps sans amant; elle frappa des mains en criant: Masoud! Masoud! et aussit?t un autre noir descendit du haut d'un arbre, et courut à elle avec beaucoup d'empressement.
La pudeur ne me permet pas de raconter tout ce qui se passa entre ces femmes et
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