Le dernier vivant | Page 4

Paul H. C. Féval
que j'ai vu Sylvandre Me regarder d'un air tendre....
Puis il me remit ma lettre en disant avec beaucoup d'am��nit��:
--La conscience, Monsieur, sans laquelle je ne comprendrais m��me pas la profession, peut se contenter de vos explications; donc j'ai l'honneur de vous remercier. D��posez trente francs et revenez demain.
Je pris cong��. �� la moiti�� de l'escalier j'entendis encore le mot conscience, envelopp�� dans le cinqui��me vers:
Mon coeur dit �� chaque instant Peut-on vivre?...
Le lendemain, de bonne heure, j'��tais au rendez-vous.
Je fus re?u par la cauchoise, qui avait d��j�� les joues ��carlates et r��pandait �� la ronde une bonne odeur de gloria.
Au lieu d'entrer chez M. Louaisot de M��ricourt, elle ouvrit, dans l'antichambre, une porte lat��rale qui me montra un long bureau, o�� ��crivaient quatre ou cinq pauvres diables. Au bout de deux minutes, tout au plus, elle revint avec un papier qu'elle tint �� distance en disant:
--Savez-vous comment le patron m'appelle? sa mule. Il est dr?le. Alors, il me faut mon picotin. C'est dix francs.
Je donnai le pourboire. Elle porta l'argent �� ses l��vres, comme je l'ai vu faire aux mendiants des grandes routes en Normandie.
Le papier ne contenait que ces mots:
?Maison de sant�� du Dr Chapart, rue des Moulins, �� Belleville.?
Une demi-heure apr��s, un gar?on �� tournure d'infirmier m'ouvrait la chambre n��9, corridor du deuxi��me ��tage, dans la maison Chapart, o�� Lucien ��tait pensionnaire.
Il y avait maintenant pr��s de dix ans que je n'avais vu Lucien Thibaut. Ma famille ��tait de Paris, la sienne habitait le pays de Caux, o�� son p��re avait occup�� un emploi de magistrature. Sa m��re, rest��e veuve avec deux filles, y jouissait d'une modeste aisance.
Nous avions fait nos ��tudes ensemble au lyc��e Bourbon. Lucien et moi, et nous nous ��tions quitt��s, fort ��mus de la s��paration, mais nous promettant bien de nous revoir souvent, juste le dernier jour de sa vingti��me ann��e.
Je me souviens qu'il ��tait tout fier de sa th��se pass��e, et le moins triste de nous deux.
Nous ne nous ��tions jamais rencontr��s depuis lors, mais notre correspondance, quelquefois ralentie, n'avait point discontinu��.
Il faut s'aimer beaucoup pour cela, c'est certain, et, en v��rit��, je ne saurais dire pourquoi je ne r��alisai pas, au moins une fois, le projet si souvent caress�� de l'aller voir soit �� Yvetot, soit �� sa maison de famille o�� il passait les vacances avec sa m��re et ses deux soeurs.
Ma vie, il est vrai, n'avait pas ��t�� s��dentaire comme la sienne, et dans ma carri��re un peu vagabonde, je ne faisais gu��re que toucher barres �� Paris.
Quoi qu'il en soit, nous ��tions li��s, Lucien et moi, par une amiti�� paisible, mais sinc��re. Je ne puis dire que cette affection e?t ��t�� mise jamais �� de s��rieuses ��preuves, mais elle existait depuis les jours de notre enfance et, pour ma part, j'en sentais instinctivement la v��ritable profondeur.
Nous ��tions encore l'un et l'autre au pr��ambule de la vie. D��s ce temps l��, quand il me venait par hasard des bouff��es de sagesse et que je songeais �� ?l'avenir?, quel que f?t mon r��ve, Lucien y avait sa place.
Cela s'arrangeait tout naturellement; il ne me semblait pas possible de penser �� moi sans penser �� lui, et la premi��re fois qu'il fut, pour lui, question de mariage, je me sentis vaguement jaloux.
L'instant d'apr��s, je m'en souviens, je souriais �� une blonde vision: de chers enfants sautaient en babillant sur mes genoux.
C'est assez ma vocation d'��tre oncle. Je suis vieux gar?on de naissance, et comme je n'ai ni fr��re ni soeur, les enfants de Lucien ��taient mes neveux pr��destin��s.
Ce mariage, du reste, dont il fut question tr��s longtemps apr��s notre s��paration--vers 1863, je crois--ne se fit pas. Mon avis n'y avait point ��t�� favorable, quoiqu'il s'ag?t d'une amie d'enfance dont Lucien nous avait rebattu les oreilles d��s le coll��ge.
Je trouvais Lucien trop jeune pour ��pouser une veuve, surtout une veuve qui ��tait son a?n��e, car Mme la marquise Olympe de Chambray avait quarante-huit heures de plus que lui.
?Belle comme un ange, spirituelle comme un diable--et ridiculement riche!?
Je souligne la phrase, textuellement prise dans une lettre de Lucien Thibaut, parce qu'elle me para?t caract��riser tout �� fait le genre de sentiment �� lui inspir�� par la charmante veuve.
Plus tard, quand ses lettres me parl��rent de Jeanne P��ry, ce fut un autre style. Que d'efforts il faisait pour se contenir! Mais �� travers sa r��serve, dont le motif m'��chappait, je devinais le grand, l'irr��sistible amour.
Lucien Thibaut ��pousa Jeanne vers l'automne de 1865.
J'en re?us la nouvelle quinze jours d'avance, �� Vienne, o�� j'��tais apprenti diplomate. Lucien avait alors vingt-neuf ans et quelques mois.
Depuis lors, il m'avait ��crit �� peine une couple de fois, comme par mani��re d'acquit et sans me rien dire.
Du reste, il y avait du temps que les lettres de Lucien me disaient peu de chose. Je l'avais accus�� bien souvent de n'avoir point
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