La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802) | Page 3

Rodolphe Reuss
Croy, un La Trémoille s'y rencontraient avec deux Truchsess, six
Koenigsegg et quatre princes ou comtes de Salm. Les autres stalles
capitulaires étaient vacantes en 1789 et ne devaient plus être occupées.
Au-dessous de ces grands seigneurs, richement dotés et splendidement
logés pour la plupart, se trouvaient les vingt prébendiers bénéficiaires
du Grand-Choeur, le personnel de la maîtrise, le clergé séculier, attaché
à la paroisse de Saint-Laurent et toute une série de fonctionnaires
ecclésiastiques accessoires. Privilégiés de l'ordre des choses existant, ils
devaient perdre forcément à tout changement politique ou social. Aussi
ne pouvaient-ils être qu'hostiles aux idées nouvelles qui allaient enfin
bouleverser l'Etat, après avoir, depuis longtemps déjà, travaillé les
esprits. Dès l'aurore de la Révolution, c'est à l'ombre de la Cathédrale
que viennent se grouper les éléments de résistance et ce que nous
appellerions aujourd'hui le parti réactionnaire.
Une ordonnance royale avait convoqué, le 7 février 1789, les différents
ordres en Alsace afin de nommer leurs députés respectifs aux
Etats-Généraux de Versailles. Le 10 mars suivant, le Magistrat de
Strasbourg prenait un arrêté qui fixait la nomination des électeurs
primaires de la ville au 18 de ce mois et prescrivait en même temps de

donner lecture de ce long document au prône du dimanche, 15 mars,
afin que nul des citoyens ou habitants de la cité ne pût en ignorer. C'est
donc à cette date du 15 mars 1789 que commence, à vrai dire, l'histoire
de la Cathédrale pendant la période révolutionnaire, et que sous ses
voûtes retentirent pour la première fois des déclarations d'ordre
politique, bien différentes de celles qui venaient les frapper d'ordinaire.
Le 18 mars suivant, les vieilles cloches, qui jadis appelaient, au début
de chaque année, la bourgeoisie de la petite République au Schwoertag
traditionnel, convoquèrent pour la première fois les citoyens au scrutin
général de la nation française.
Avant même que les représentants de la bourgeoisie de Strasbourg,
élus en ce jour, eussent nommé, dans un second scrutin, les deux
députés de la ville, à la date du 8 avril, le prince-évêque avait vu sortir,
lui aussi, son nom de l'urne électorale. Dans l'assemblée du clergé des
districts réunis de Wissembourg et de Haguenau, le cardinal de Rohan
avait été choisi comme l'un des députés de cet ordre. Sans doute il ne se
souciait point alors de reparaître à la cour, ou plutôt il craignait que
Louis XVI ne voulût point reprendre l'ordre d'exil qu'il lui avait intimé
quelques années auparavant. Il refusa donc de quitter son fastueux
palais de Saverne, et c'est son grand-vicaire, l'abbé d'Eymar, qui fut
nommé à sa place et joua plus tard, comme nous le verrons, un rôle
assez actif parmi les droitiers de la Constituante.
Nous n'avons rien trouvé dans nos sources qui nous permette de
rattacher, de près ou de loin, l'histoire spéciale de la Cathédrale à celle
des événements qui se déroulèrent d'une façon si vertigineuse, dans les
mois qui suivirent, sous les yeux de l'Europe étonnée, soit à Paris, soit à
Versailles, et dont le contre-coup se fit rapidement sentir à Strasbourg.
L'illumination spontanée d'une partie de la ville, dans la soirée du 18
juillet, quand arriva la nouvelle de la prise de la Bastille, ne s'étendit
pas, naturellement, aux édifices publics, et bien qu'elle "dût être
générale ès jours suivants", comme le dit Rochambeau dans ses
Mémoires, rien ne prouve qu'on ait trouvé le temps de garnir la tour de
ses lumignons traditionnels avant le soulèvement de la populace et le
sac de l'Hôtel-de-Ville (19-21 juillet 1789), qui portèrent un instant le
désordre des esprits à leur comble. L'émeute militaire de la garnison de

Strasbourg, qui vint se greffer d'une manière inattendue sur ces
premiers troubles, dès le début du mois suivant, la nouvelle des
décisions de l'Assemblée Nationale prises dans la nuit fameuse du 4
août, poussèrent, on le sait, l'ancien Magistrat à se démettre de ses
fonctions et à remettre le pouvoir aux représentants élus de la
bourgeoisie. Ceux-ci, désireux de réformes, mais voulant ménager les
transitions, formèrent un Magistrat intérimaire, composé de citoyens
ayant la confiance générale, et qui devait rester en fonctions jusqu'au
règlement définitif de la constitution municipale.
Jusqu'à ce moment la concorde avait été à peu près générale dans les
rangs de la population strasbourgeoise. Si la misère trop réelle des
classes pauvres; si les excitations de certains agents secrets, encore mal
connus aujourd'hui, avaient amené des désordres regrettables, la grande
masse de la bourgeoisie urbaine, ralliée autour de ses représentants
librement choisis au mois de mars, s'était prononcée, d'une part, pour
l'abolition du gouvernement de l'oligarchie patricienne, mais
n'entendait pas renoncer non plus à certains de ses privilèges, à une
situation particulière au sein de la nation française. Par suite de
l'abolition de tous les droits féodaux, cette situation devait forcément se
modifier. L'extension de plus en plus
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