Correspondance, 1812-1876 - Tome 4 | Page 2

George Sand
de nouvelles de l'affaire du pauvre Defressine[1]. Demande à M. Bixio si le prince s'en occupe et s'il y peut quelque chose.
Tu nous avais promis, de par ta science agricole et économique, que le blé n'augmenterait pas. Il augmente affreusement et il y a beaucoup de misère ici. Heureusement, le froid n'a pas persisté; car nous étions au bout de nos fagots, et les pauvres faisaient triste mine. Le bois augmente toujours et, qui pis est, il est rare. Nous sommes obligés d'en abattre pour nous chauffer et de le br?ler vert.
Voyons, je m'imaginais, que, depuis que tu faisais dans un journal savant, nous n'allions plus manger que des ananas et des oranges; que le vin allait pousser sur les tuiles des toits et le pain tout cuit dans les champs. Je vois bien que tu es un gros paresseux et que tu laisses tout aller à la diable.
Aucante, que j'attendais hier pour mettre sa lettre dans la mienne, me dit ce soir qu'il t'a répondu au sujet des livres: ainsi je n'ai plus à te parler que de tes chutes, qui me paraissent trop multipliées, et je commence à craindre une démolition. Tache donc de faire vite fortune, afin d'aller toujours en voiture, et surtout de venir nous voir.
Je me livre au jardinage avec furie, par tous les temps, cinq heures par jour, avec Nini à c?té de moi, piochant et brouettant aussi. Cela m'abrutit beaucoup, et la preuve, c'est que, tout en bêchant et ratissant, je me mets à faire des vers. Les premiers que je livrerai à la publicité me sont venus à propos de ce pauvre cher Planet, et je les ai faits tout en bêchant et en pleurant. Je ne les fais imprimer que dans le journal d'Arnaud[2], n'ayant plus _l'éclaireur_, hélas! et j'en interdis la reproduction; car je ne me pique pas de savoir faire de bons vers, et je ne voudrais pas, à propos d'une tristesse sérieuse et vraie, servir d'aliment à une discussion littéraire. Je les ai faits pour moi d'abord, et puis je me suis dit que, la police ayant interdit aux amis du cher mort de prononcer un mot d'éloge privé sur sa tombe, une petite poésie où il n'y a pas la moindre allusion politique remplacerait, autant que possible, l'hommage du coeur qu'il n'a pas été permis de lui décerner.
Je t'enverrai cela, tu le donneras à ceux de ses plus proches amis que tu connais, en les prévenant bien que cela n'a pas la prétention d'être autre chose qu'un _ex-voto_. Bonsoir, mon cher vieux; écris-nous souvent. Nous t'embrassons de coeur.
[1] Déporté à Lambessa après le coup d'état de 1851. [2] Le directeur de l'_écho de l'Indre_.

CCCLXXII
A MAURICE SAND, A PARIS
Nohant, 31 janvier 1854.
Cher enfant,
Tu m'en écris bien court! J'espère que tu te portes bien et que tu t'amuses, et tu sais, au reste, que j'aime mieux trois lignes que rien.
Moi, je ne te dis pas grand'chose non plus, parce que je ne fais rien que tu ne saches par coeur, et que ma vie est si uniforme, si semblable tous les jours à la veille, que tu peux te dire, à toutes les heures, ce qui se passe à Nohant, et de quoi je m'occupe.
Mon Trianon devient colossal et _Teverino_[1] a pris cinq actes. Je remets au net et j'avance. Je me porte bien, sauf un peu d'excitation de nerfs qui m'empêche de m'endormir bien.
Nous avons été voir la comédie bourgeoise pour les pauvres, à la Chatre. C'est trop mauvais. Duvernet et Eugénie sont directeurs de cette troupe. ?a ne leur fait pas honneur.
Il pleut depuis deux jours; jusque-là, il a fait beau et chaud le jour, froid la nuit, ce qui constitue un hiver excellent. Le jardinier a planté, dans un carré du jardin, un verger magnifique. Patureau est revenu planter sa vigne, qui sera aussi un modèle de vigne. Il y a émulation. Nini dit toutes les bêtises du monde et se porte comme un charme.
Nous avons une tradition pour toi. Quand on veut avoir un bon chien de garde, on le pile. Connais-tu ?a? Voici comme on procède:
Auguste le charpentier, qui est sorcier et pileux de chiens, s'est rendu, par une nuit noire, chez Millochau, à la prière de ce dernier, pour piler son chien. La nuit était si noire, qu'Auguste passa à quatre pattes sur le pont pour ne pas se noyer, dit-il; mais cela faisait peut-être bien partie de la conjuration, il ne l'avoue pas. Le chien avait trois ou quatre jours. Il ne faut pas qu'il ait vu clair quand on le soumet à l'opération, on le met dans un mortier et on le pile avec un pilon. Auguste dit qu'on ne lui fait pas grand mal; mais je crois bien qu'il le broie et que, par son art, il le ressuscite. Tout
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