Contes à la brune | Page 2

Armand Silvestre
perd dans le marbre. Tandis que la beauté des blondes est comme un éternel appel au plaisir, votre attirance, à vous, est surtout faite du besoin de souffrir qui, pour beaucoup, se confond avec le besoin d'aimer. Aussi n'ai-je guère pour vous moins de haine que d'amour, ? vous qui m'avez tra?né dans les géhennes, femmes au front lilial encadré de flottantes ténèbres!
* * * * *
Je veux vous dire cependant quelque chanson bien douce:
Comme le vol d'une hirondelle, Sur un ciel d'aube aux blancs rideaux, Double, en passant, une ombre d'aile, Se dessinent tes noirs bandeaux.
Leur ombre jumelle se joue Sur le ciel de ton front qui luit, Et jusqu'aux roses de ta joue, De sa corolle étend la nuit.
Avant que l'hiver n'effarouche L'oiseau fidèle, si tu veux, Je poserai longtemps ma bouche Au sombre azur de tes cheveux.
* * * * *
Mais, au fait, si celles qui m'ont élu pour plaider contre vous, ? Maizeroy, ? Catulle, étaient ce que nos a?eux appelaient des: ?brunes piquantes?! Oui, vous savez, ce qu'on nomme encore, dans la campagne, de simples ?brunettes!? Ah! que j'aurais été daubé dans ma défense et comme je me trouverais vraiment quinaud, tout comme l'Anglais dont se moqua Panurge. J'avoue n'avoir jamais rien compris à la beauté du Diable. Je m'en tiens encore à celle du Bon Dieu. Aussi bien ce culte est-il le seul dont je l'honore. Au cas où ma religion aurait été indignement surprise, je veux conclure par une bien nette profession de foi:
La Nuit dans les cheveux, la Nuit dans les prunelles; Le jour,--blanc sur le front,--sur la bouche vermeil: C'est cette ombre jumelle et ce double soleil, Que celles que je sers doivent porter en elles.
Et je leur veux aussi les graces solennelles Des déesses d'antan sortant de leur sommeil. Car mon esprit pa?en au ciel même pareil, Ne resplendit qu'au choc des beautés éternelles.
Il faut a mes baisers des soins fermes et blancs; Mes bras ne s'ouvrant bien qu'à la rondeur des flancs Dont le marbre vivant s'élargit en amphore.
Telle est la Femme au corps par mon désir mordu En qui s'incarne l'heur de mon rêve éperdu Et dont l'amour cruel sans trève me dévore!
[Illustration]

I
CONTES DE PRINTEMPS

[Illustration]

LA PREMIèRE DU PRINTEMPS
C'est la première du Printemps Au théatre de la Nature,
comme chantait Suzanne Lagier dans quelque antique féerie des Folies-Dramatiques. Oui, mes amis, c'est aujourd'hui la première du Printemps. Le calendrier l'affirme; j'ouvre ma fenêtre, plein d'espérance, et la referme, aveuglé par la neige. Encore un mensonge de ce méchant bout de carton que nous apporte, avec l'innocence perfide de Pandore, devant que chaque année soit finie, l'émissaire quotidien de l'administration des Postes! Voilà un cadeau qui m'ennuie! D'abord c'est le signal de tous ceux que j'aurai à faire sous le nom futile d'étrennes. Puis c'est absolument comme si on m'offrait gracieusement le catalogue de tous les ennuis à venir. Tous les jours de terme sont marqués là et tous les jours d'échéance, toutes les nuits sans lune et tous les jours sans gaieté! Il faut avoir été bien constamment heureux pour aimer à prévoir, et je suis de ceux qui sont reconnaissants à Dieu de nous céler l'avenir. Le calendrier est le grand obstacle à l'oubli, qui peut seul consoler de vivre. Il ramène les anniversaires où l'on pleure, les plus nombreux de tous! Les plus beaux moments de la vie sont ceux où on voudrait que le temps arrêtat sa course. C'est par décence que l'écriture prétend que, ce fut à l'occasion d'une bataille, que Josué lui en donna l'ordre. S'il n'était pas le dernier des imbéciles (et nous en avons connu beaucoup d'autres après lui) et s'il était vraiment investi de ce féerique pouvoir, j'estime qu'il en a d? profiter pour l'amour et non pour le carnage. Suspendre, ? ma chère, le vol de l'Heure, durant que je suis dans vos bras! Ce fut toujours mon rêve et mon voeu inexaucé. Mais il semble que son aile est plus rapide encore quand vous dormez ce sommeil dont chaque souffle est un baiser! Oh! ce calendrier qui nous prend au flanc comme un éperon! Et puis, j'ai encore contre lui une rancune personnelle. Jamais il n'a daigné citer, dans sa nomenclature stupide, l'humble saint dont je porte le nom, bien que celui-ci ait été un homme vertueux et bienfaisant, comme je l'ai établi d'après les légendes. En revanche, sainte Beuve y est nommée, car c'était une bien heureuse que le célèbre écrivain avait pour patronne, ce qui lui donna un go?t immodéré des femmes durant toute sa vie. Tandis que moi!... O saint Armand, qu'on surappelait le chaste dans toute la province, quelle injustice on nous fait à tous deux!
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L'impunité dont ont joui jusqu'ici les jeunes gens qui achèvent volontiers une nuit de plaisir en coupant
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