Zézette : moeurs foraines | Page 2

Oscar Méténier
donner à bouffer à cinquante-trois pensionnaires, hommes et bêtes! Allez vous aligner avec ?a! Ah! chien de métier! A la paye, vous autres!
Un à un, les musiciens de l'orchestre s'avancèrent. Il remit à chacun d'eux le prix de leur journée, puis, comme la pluie semblait tomber avec moins d'abondance, les quatre hommes sortirent de la baraque après, avoir souhaité le bonsoir au patron.
--Comme on aurait envie, dans des moments comme ?a, de foutre la clef sous la porte et de filer n'importe où! répétait le dompteur découragé. Enfin! heureusement qu'on a encore de la viande pour aujourd'hui. Je vas aller servir les bêtes... pour leur enlever l'idée de se payer sur ma peau demain matin.
--Alors, je peux disposer? demanda le bonisseur.
--Dam! puisqu'y a pas de séance! Je ferai l'affaire avec Jean.
--Bonsoir, patron?
--Bonsoir!
Resté seul, le dompteur se dévêtit rapidement et tendit son dolman à Zézette.
--Porte-moi cela dans la caravane. As-tu d?né?
--Oui, papa, fit humblement la petite fille.
--Alors, tu peux filer chez la mère Tabary. Je n'ai plus besoin de toi.
Chausserouge rentra dans la ménagerie.
Dans un coin, un grand gaillard aux solides épaules était occupé à découper sur un large étal, supporté par deux roues, des quartiers de viande de cheval.
--C'est fini, Jean? demanda le dompteur.
--A peu près, mais tu sais, ils en auront pour une dent creuse, ce soir.
--Tant pis... c'est pas encore la recette d'aujourd'hui qui augmentera leur ordinaire... A propos, tu rogneras la portion des vieux, de ceux qui ne travaillent plus... Voyons, y sommes-nous?... Je vas te donner un coup de main.
Ils allaient commencer la distribution quand la portière se souleva et un vieillard, vêtu d'une blouse bleue complètement mouillée, fit son entrée.
--Bonjour, les petits fieux! Eh bien! En voilà une de saucée!
Il secoua son chapeau dont les larges bords ruisselaient.
--Bonjour, père Vermieux! firent les deux hommes en échangeant un regard mélancolique.
Le père Vermieux était l'usurier des forains.
Ancien ?voyageur?, il avait un beau jour vendu le manège de chevaux de bois avec lequel il avait fait fortune et s'était retiré dans le petit trou d'Auvergne où il était né.
Mais bient?t repris de la nostalgie de la vie nomade, il avait rejoint le ?Voyage? et il s'était constitué le banquier de ses anciens confrères.
Aux uns, il prêtait à la petite semaine; aux autres, aux riches, à ceux dont l'installation offrait une garantie, il faisait des avances à plus long terme, surveillant lui-même l'emploi des fonds qu'il confiait, pourtant à de gros intérêts.
De temps en temps, le père Vermieux faisait un tour au pays, puis on le voyait régulièrement repara?tre aux échéances. Il était avare et sa parfaite connaissance du métier et de la solvabilité de ses débiteurs l'assurait contre toute mauvaise spéculation.
Plein d'indulgence pour ceux qu'il savait pouvoir se relever à la suite d'une campagne malheureuse, il était intraitable à l'égard de ceux qui étaient à la c?te, et il les exécutait alors sans pitié.
On le craignait plus, encore qu'on ne le détestait, car il n'était peut-être pas un forain sur le ?Voyage? qui n'e?t eu besoin dans sa vie d'avoir recours à lui.
Justement Chausserouge était son obligé. C'était le surlendemain qu'il devait payer à Vermieux une somme de trois cents francs; il l'avait oublié; l'apparition du petit vieux venait brusquement de rappeler ce léger détail à sa mémoire.
--Eh bien, mes enfants, que pensez-vous de ce petit temps-là? ?a ne doit pas faire aller le commerce?
--M'en parlez pas, père Vermieux! Nous avons d? fermer à dix heures.
--Eh pardieu! vous n'êtes pas les seuls! Depuis le Tr?ne, j'ai pas rencontré ame qui vive... Figurez-vous que j'arrive ce soir de mon patelin... Allons faire un tour sur le Voyage, que je me suis dit... j'ai mangé un morceau près de la gare et je m'en suis venu tout doucettement. Je t'en fiche! A peine au pied de la colonne, v'là le tonnerre, les éclairs, tout le diable et son train!... Toutes les baraques fermées... Ma foi, je marchais devant moi... sous la pluie... j'ai reconnu l'enseigne de Chausserouge... et me voilà!... Dis donc, gar?on, t'aurais pas une blouse à me prêter pour faire sécher celle-là...
--Mais si, mais si! père Vermieux! Et si vous voulez, on va prendre ensemble un verre de vin... ?a vous réchauffera!
--Ah! c'est pardieu pas de refus!
Et Chausserouge, précédant l'usurier, le conduisit dans la caravane adossée à la ménagerie.
--Tenez, père Vermieux, voilà de quoi vous mettre à l'aise. Pendant ce temps, je vais retrouver Jean, car c'est l'heure de préparer à souper aux animaux... Tout à l'heure nous serons à vous.
Dehors, l'orage redoublait de furie. Le vent s'engouffrait en sifflant sous les toiles et la foudre tonnait sans relache.
Chausserouge rejoignit son aide.
--Encore trois cents francs à payer après-demain... et pas le premier sou! Il avait bien besoin de venir... ce vieux cancre!
Il y eut un silence. Les deux hommes absorbés par les pensées que suscitait la présence inopinée
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 132
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.