Vie de Franklin | Page 6

F.A.M. Mignet
très-bon parti pour
lui-même. Il avait en effet commencé vers 1721 à imprimer un journal
intitulé the New England Courant. C'était le second qui paraissait en
Amérique. Le premier s'appelait _the Boston News Letter_. Le jeune
Franklin, après en avoir composé les planches et tiré les feuilles, le
portait aux abonnés. Il se sentit capable de faire mieux que cela, et il
déposa clandestinement des articles dont l'écriture était contrefaite, et
qui réussirent beaucoup. Le succès qu'ils obtinrent l'enhardit à s'en
désigner comme l'auteur, et il travailla depuis lors ouvertement au
journal, au grand avantage de son frère. Or il arriva qu'un jour des
poursuites furent dirigées, pour un article politique trop hardi, contre
James Franklin, qui fut emprisonné pendant un mois. De plus, son
journal fut supprimé.

Les deux frères convinrent de le faire reparaître sous le nom de
Benjamin Franklin, qui en avait été quitte pour une mercuriale. Il fallut
pour cela annuler l'ancien contrat d'apprentissage, afin que le cadet
sortît de la dépendance de l'aîné, devînt libre de sa conduite et
responsable de ses publications. Mais, pour que James ne fût pas privé
du travail de Benjamin, on signa un nouveau brevet d'apprentissage qui
devait rester secret entre les parties, et les lier comme auparavant.
Quelque temps après, une des nombreuses querelles qui s'élevaient
entre les deux frères étant survenue, Benjamin se sépara de James; il
profita de l'annulation du premier engagement, pensant bien que son
frère n'oserait pas invoquer le second. Mais celui-ci, outré de son
manque de foi et soutenu par son père, qui embrassa son parti, empêcha
que Franklin n'obtînt de l'ouvrage à Boston.
Franklin résolut d'en aller chercher ailleurs. Au tort qu'il avait eu de se
soustraire à ses obligations envers son frère, il ajouta celui de quitter
secrètement sa famille, qu'il laissa plongée dans la désolation. Sans le
prévenir de son projet, après avoir vendu quelques livres pour se
procurer un peu d'argent, il s'embarqua en septembre 1723 pour
New-York. Ce fut dans le trajet de Boston à cette ville qu'il cessa de se
nourrir uniquement de végétaux. Il aimait beaucoup le poisson; les
matelots, retenus dans une baie par un grand calme, y avaient pêché des
morues. Pendant qu'ils les arrangeaient pour les faire cuire, Franklin
assistait aux apprêts de leur repas, et il aperçut de petites morues dans
l'estomac des grandes, qui les avaient avalées. «Ah! ah! dit-il, vous
vous mangez donc entre vous? Et pourquoi l'homme ne vous
mangerait-il pas aussi?» Cette observation le fit renoncer à son système,
et il se tira d'une manie par un trait d'esprit.
Il ne trouva point de travail à New-York, où l'imprimerie n'était pas
plus florissante que dans le reste des colonies, qui tiraient encore tout
de l'Angleterre, et le peu de livres dont elles avaient besoin, et le papier
qu'elles employaient, et les gazettes qu'elles lisaient, et les almanachs
mêmes qu'elles consultaient. Il était un jour réservé à Franklin de faire
une révolution à cet égard; mais, pour le moment, il n'eut pas le moyen
de gagner sa vie à New-York, et il se détermina à pousser jusqu'à
Philadelphie. Il s'y rendit par mer, dans une mauvaise barque que les

vents ballottaient, que la pluie inonda, où il souffrit la faim, fut saisi par
la fièvre, et d'où il descendit harassé, souillé de boue, en habit d'ouvrier,
avec un dollar et un schelling dans sa poche. C'est dans cet équipage
qu'il fit son entrée à Philadelphie, dans la capitale de la colonie dont il
devait être le mandataire à Londres, de l'État dont il devait être le
représentant au Congrès et le président suprême.
Il fut employé par un mauvais imprimeur nommé Keimer, qui s'y était
récemment établi avec une vieille presse endommagée et une petite
collection de caractères usés fondus en Angleterre. Grâce à Franklin,
qui était un excellent ouvrier, cette imprimerie imparfaite marcha assez
bien. Son habileté, sa bonne conduite, la distinction de ses manières et
de son esprit, le firent remarquer du gouverneur de la Pensylvanie,
William Keith, qui aurait voulu l'attacher à la province comme
imprimeur. Il se chargea donc d'écrire à son père Josiah, pour lui
persuader de faire les avances nécessaires à son établissement. Honoré
du suffrage du gouverneur, la poche bien remplie des dollars qu'il avait
économisés, Franklin se hasarda à reparaître dans sa ville natale, au
milieu de sa famille, qui l'accueillit avec joie et sans reproche. Mais le
vieux Josiah ne se rendit point aux voeux du gouverneur Keith, qu'il
trouva peu sage de mettre tant de confiance dans un jeune homme de
dix-huit ans qui avait quitté la maison paternelle. Il refusa donc, et
parce qu'il n'avait pas le moyen de lui monter une imprimerie, et parce
qu'il ne le jugeait pas capable encore de la conduire.
Il ne se trompait point en
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