Une fête de Noël sous Jacques Cartier | Page 4

Ernest Myrand
en badinant à travers un
cours d'études.
Pour combien d'intelligentes et spirituelles lectrices la grande et
martiale figure de Louis de Buade comte de Frontenac fût demeurée
aussi inconnue qu'étrangère sans la lecture de Bienville? C'est un
portrait coloré, si l'on veut, mais un portrait vivant, un portrait
historique, saisissant de vérité photographique, lumineux de gloire
comme l'époque à laquelle il appartient.
Combien encore, sans le roman-feuilleton du même auteur--l'Intendant
Bigot,--combien, dis-je, des 14,000 abonnés du défunt Opinion
Publique n'auraient jamais lu le savant, exact et patriotique récit de la
première bataille des plaines d'Abraham?
Et cette autre description magistrale, merveilleusement empoignante de
la Revanche du 13 septembre 1759, la victoire du 28 avril 1760, gagnée
dans les champs de la vieille paroisse de Notre-Dame de Foye, sous les
remparts mêmes de Québec avec son point stratégique légendaire,
l'immortel moulin Dumont; où l'avons-nous lue, nous les jeunes?--Chez
Garneau, Ferland, Laverdière?--Non pas; mais dans Les Anciens
Canadiens de cet octogénaire littérateur Philippe Aubert DeGaspé,
publiés en feuilletons dans la Revue Canadienne de 1860. Notre
premier cours d'Histoire du Canada s'est donc fait dans un roman très
canadien-français, et, disons-le à la gloire de son incontestable mérite,
très historique, absolument historique.
* * *
Dans Les Plaideurs de Racine, Petit Jean exposant son cas, dit, au
troisième acte de la comédie:

"Ce que je sçay le mieux, c'est mon commencement."
Ça, mes lecteurs, la main sur la conscience, en pouvons-nous dire
autant de notre Histoire du Canada? Pour être aussi vrais que sincères
ne conviendrait-il pas de renverser ce vers-proverbe et de confesser en
toute humilité de coeur et d'esprit:
"Ce que je sçay le moins, c'est mon commencement."
Et cependant, combien l'on sait d'autres choses! Oserai-je dire de
préférence?
J'ai connu, quelque part, dans un séminaire classique, un écolier,
véritable bourreau de travail, qui vous défilait toute la série
chronologique des anciens rois de l'Égypte, de Mesraïm (2,200 ans
avant Jésus-Christ), à Néchao, sans oublier un seul Pharaon! Sa
prodigieuse mémoire se faisait un jeu de répéter ce tour de force pour
chacune des nomenclatures royales des vieux empires de Syrie,
d'Assyrie, de Perse, de Macédoine, toutes étiquetées par ordre de
millésimes. Or, ce bachelier virtuose, cette vivante encyclopédie ne
savait même pas l'humble successions, liste brusquement interrompue,
de nos Vice-Rois, Lieutenants-Généraux, Gouverneurs, Grands Maîtres
des Eaux et Forêts, Administrateurs, etc., etc., alors que notre patrie se
nommait la Nouvelle-France, en Géographie comme en Histoire.
Chacun son goût; mais, au mien, j'aime mieux savoir le rôle d'équipage
de la flottille de Jacques Cartier allant à la découverte du Canada, que
les noms et prénoms des Argonautes partis avec Jason, à la conquête de
la Toison d'Or.--Que vous servira, en définitive, de connaître que
Nemrod fonda Babylone; Cécorps, Athènes; Eurotas, Sparte; Salomon,
Palmyre; et si vous ne savez pas que Samuel de Champlain fonda
Québec; Laviolette, Trois-Rivières; De Maisonneuve, Montréal; De
Tracy, Sorel; Frontenac, Kingston; De la Motte-Cadillac, Détroit; De la
Galissonnière, Ogdensburg; De Contrecoeur, Pittsburg; d'Iberville,
Mobile; De Bienville, la Nouvelle-Orléans? Saint Ignace ne dirait-il pas
avec un meilleur à-propos: Quid prodest?
Il était donc rigoureusement logique, pour qui voulait populariser les
archives canadiennes-françaises de commencer ce travail de

vulgarisation suivant l'ordre des dates. Or la Relation du second Voyage
de Jacques Cartier est sans contredit notre premier document
historique puisque l'on y raconte la découverte du Canada. Il était
difficile, le lecteur en conviendra, d'étudier un document authentique à
la fois plus précieux et plus vénérable d'antiquité.
Non travail ne sera donc, à proprement parler, que la paraphrase
littéraire du Second Voyage de Jacques Cartier.
Oeuvre d'imagination, dira-t-on, bagatelle! Oeuvre d'imagination si l'on
veut, composition fantaisiste où cependant la folle du logis n'est qu'une
esclave de la vérité historique. A ce point, qu'elle accepte les noms de
personnes, les mots anciens de la géographie, et consent à suivre les
événements, les faits, les circonstances dans leur ordre. Elle ne les
combine pas, elle les regarde; elle se promène au milieu d'eux, les
interroge, les critique, les admire, à la manière d'un voyageur intelligent,
d'un connaisseur artiste étudiant les curiosités d'un musée ou les
monuments d'une ville étrangère. Le travail d'Une Fête de Noël sous
Jacques Cartier se compose d'une série de tableaux historiques peints
sur nature, de vues exactes prises sur le terrain, photographiées à la
faveur de la lumière que peuvent concentrer à cette distance (sept
demi-siècles) les meilleurs instruments des archivistes et des
archéologues.
Aussi le public instruit qui jugera l'épreuve sera-t-il d'autant plus sévère
pour l'ouvrier, qu'il se trouvera toujours en mesure de comparer la copie
à l'original. Car, la raison essentielle de ce travail étant de faire
CONNAÎTRE ET LIRE NOS ARCHIVES, j'annote le récit littéraire
du texte de la relation primitive[2] non pas tant pour démontrer, par la
vérité des événements, la vraisemblance de la fantaisie, que
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