Pour aujourd'hui je n'ai voulu que poser le principe.
L'émotion de Fourcy était si vive qu'elle l'empêcha de trouver des paroles pour traduire ce qui se passait en lui: l'associé de la maison Charlemont, lui le petit Jacques, le fils du gar?on de bureau!
M. Charlemont s'était levé et au moment où Fourcy allait enfin pouvoir exprimer ses sentiments de reconnaissance et de joie il lui coupa la parole:
--A demain, dit-il.
--Mais, monsieur, vous me laisserez bien...
--Rien, dit-il, à demain, je suis pressé.
Et il partit sans rien vouloir entendre, marchant gaillardement en chantonnant.
IV
C'était après la guerre que Fourcy avait acheté sa maison de Nogent.
En se promenant un dimanche avec sa femme et ses deux jeunes enfants, pour visiter les positions occupées par les armées et se rendre compte par les yeux des combats dont ils avaient lu ou entendu les récits, ils étaient entrés dans une propriété où l'on avait établi une batterie.
C'était dans la grande rue: au milieu des maisons, ils avaient trouvé une allée ouverte entre deux murs garnis de lierre du haut en bas, et en la suivant, ils étaient arrivés sur une pelouse qui s'étalait entre des communs et une grande maison de belle apparence, sans trop savoir où ils allaient, et surtout sans se douter de la vue qu'ils allaient rencontrer là: à leurs pieds, ils avaient la Marne, dont le cours, gracieusement arrondi, était dessiné par une double ligne d'arbres, qui, ?à et là, au caprice des branches et du feuillage, ouvrait des perspectives changeantes sur les eaux miroitantes de la rivière: à leur gauche le viaduc du chemin de fer passant à travers les cimes des peupliers; à leur droite, le village de Joinville se profilant nettement sur le ciel: enfin en face d'eux, au delà des prairies, les coteaux qui montent doucement pour aller finir d'un c?té à Noisy et de l'autre à Chennevières, se perdant dans des profondeurs vaporeuses.
On était au printemps et il faisait une de ces journées de bonne chaleur et de lumière gaie où l'on se sent heureux de vivre; après être restés enfermés pendant huit mois privés d'air et de verdure, cette sortie dans la campagne avec un horizon où les yeux s'enfon?aient librement, était une griserie pour eux.
Tandis que le mari et la femme, assis sur un arbre abattu dans les herbes, regardaient le panorama qui se déroulait devant leurs yeux, les enfants jouaient dans le jardin à escalader à quatre pattes les épaulements de la batterie ou à courir à travers les gazons coupés d'ornières, creusées par les caissons et les prolonges.
élevée au milieu d'une pelouse à l'un des angles de la maison, celui-là même d'où la vue s'étendait librement sur les coteaux opposés, cette batterie avait naturellement attiré les obus prussiens, dont quelques-uns avaient atteint la pauvre maison, éventrant la toiture et déchirant sa fa?ade.
Comme il n'y avait rien à prendre dans cette maison abandonnée et pillée plusieurs fois, elle était ouverte à tous venants sans qu'il y e?t là un jardinier ou un concierge pour la garder; cependant elle était à l'intérieur moins dévastée que bien d'autres, et cela précisément parce qu'elle avait été exposée au bombardement, les obus allemands lui ayant été plus cléments que ne l'eussent été les francs tireurs ou les mobiles s'ils l'avaient occupée. Ainsi, les portes, les lambris, les parquets n'étaient point br?lés, les marbres des cheminées n'étaient point tailladés à coups de sabre, les glaces n'étaient point percées de trous de balles et les pièces où n'avaient point pénétré les éclats d'obus étaient à peu près intactes.
Justement ces lambris et ces cheminées étaient fort jolis, car la maison datait de la fin du dix-huitième siècle, et tout ce qui était décoration avait été traité dans le go?t de l'époque; il y avait là des chambranles, des moulures, des dessus de porte en marbre et en bois qui étaient des oeuvres d'art charmantes.
La visite de M. et madame Fourcy avait été longue, non pas que Fourcy prêtat grande attention à ces sculptures,--il ne connaissait rien aux oeuvres d'art; non pas que madame Fourcy se donnat la peine de les admirer--elle ne s'intéressait ordinairement qu'aux choses qui lui appartenaient ou dont elle pouvait tirer parti, mais parce que la maison était vaste, distribuée en pièces nombreuses avec de petits cabinets, des coins et des recoins, et aussi parce qu'ils éprouvaient un certain plaisir, dont ils ne se rendaient pas bien compte, à se promener dans ces appartements sonores où retentissait le bruit de leurs pas et de leurs voix.
Enfin, ils étaient sortis; alors l'idée leur était venue de parcourir les jardins dont ils n'avaient vu que l'ensemble; ils étaient assez étendus, ces jardins, et divisés en deux parties: l'une, la plus voisine de la maison, dessinée en pelouse et en bosquets, avec des allées de vieux arbres; l'autre, inclinée vers la rivière,

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