le dogme infaillible de 
l'Imagination, cette vérité éternelle de l'éternel Roman. 
* * * 
J'en appelle au plus froid critique, le Tour du Monde en Quatre-vingt 
jours eût-il jamais valu à son auteur fortune et renommée, si Verne l'eût 
intitulé simplement: Géographie Universelle? De même, son fameux 
roman-trilogie: Enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieus sous les 
mers, l'Île mystérieuse, aurait-il jamais eu chez les liseurs cet inouï 
succès de vogue, si l'éditeur eût sévèrement publié une Histoire 
naturelle en trois volumes? Et le Voyage au centre de la Terre, n'est-il 
rien autre chose qu'un admirable et merveilleux Cours de Physique et 
de Géologie? Essayez d'écouler à la faveur de ce dernier titre, un 
millier seulement de copies exactes du même ouvrage, et vous m'en 
viendrez dire des nouvelles. 
Aussi Jules Verne, ce lecteur sérieux popularisant chez les liseurs de 
romans les notions premières des sciences positives et les données 
mathématiques des arts, se garde bien de prévenir, voire même 
d'éveiller, au cours du récit merveilleux, l'attention de son public. 
Public dangereux s'il en fut jamais, excessivement difficile à retenir et à 
fixer, public capricieux, changeant, mobile à l'extrême, s'abattant sur un 
livre nouveau avec la pétulance gourmande d'une volée de moineaux, 
s'enlevant de même à grands bruits d'ailes et des cris colères, sitôt que 
l'un des rongeurs s'est écrié: "livre d'études!" 
L'auteur n'approche qu'avec une prudence extrême ce volage et 
farouche lecteur. Comme aux petits enfants que l'on veut guérir, il ne 
dit pas: "Voici le remède"; mais câlinement: "Qui veut du bonbon?" 
Tout aussitôt le lecteur mord à l'amorce, se prend à l'hameçon et se
noierait au bout de la ligne plutôt que de lâcher l'appas. A travers 
l'intrigue du récit, comme avec un filet à mailles inextricables, l'auteur 
amène doucement, doucement, mais sûrement aussi, le lecteur frivole à 
sa barque, c'est-à-dire, à son avis. Jules Verne éblouit, captive, capture 
son lecteur avec l'éclat de style, tout comme l'autre, le pêcheur de 
poissons, amorce sa clientèle avec des mouches à corselet d'or et à 
plumes rouges. Un tel lecteur une fois pris ne lui échappe... qu'au 
dernier chapitre. Et encore le reprendra-t-il infailliblement à son 
prochain roman scientifique. 
Pareils ouvrages instruisent leurs lecteurs qu'ils amusent, et l'excellence 
de leurs résultats est par trop évidente pour être signalée. Passe-Partout, 
Nemo, le capitaine Grant, sont de véritables professeurs de géographie, 
d'histoire naturelle, de physique, déguisés grimés convenablement en 
héros de romans. L'intrigue même du récit n'est le plus souvent qu'une 
thèse scientifique, exposée, développée, soutenue, établie au cours 
d'une aventure imaginaire autant qu'originale et raconté en un très beau 
style, qui fleurit, comme un jardin de rhétorique, les plaines arides du 
chiffre et les solitudes austères où les savants de toutes les langues 
parlent le mot exact du théorème et de l'équation. 
Il est souvent advenu qu'un lecteur frivole, alléché par la description 
brillante mais précise d'un monument, d'une ville, d'un pays, intéressé 
par le détail inédit, mais toujours exact, des religions, des 
gouvernements, des langues, des moeurs, des costumes, des industries, 
des arts professés par les peuples de latitudes différentes, s'en est allé 
compléter (en même temps que vérifier) dans les ouvrages classiques 
de la science, les connaissances acquises à la lecture de Jules Verne. 
Ses romans auront fait alors, mieux et plus vite que les pédagogues et 
leurs sermons, un lecteur sérieux d'un lecteur frivole et reconquis à 
l'amour du savoir une intelligence perdue de romanesque et d'aventure. 
Alors, dans les bibliothèques publiques comme au foyer de la famille, 
les livres sérieux occuperont une place d'honneur et de préséance, la 
seule d'ailleurs qu'ils doivent tenir dans la demeure d'un homme instruit. 
Alors ce ne sera plus, pour parler avec à propos le langage excellent du 
rapporteur de l'Institut Canadien de Québec, ce ne sera plus un véritable
événement quand quelqu'un demandera au conservateur d'une 
bibliothèque publique l'usage d'un livre sérieux. 
* * * 
Ce que Jules Verne a tenté avec un éclatant succès pour l'enseignement 
populaire de la géographie universelle; ce que Flammarion réalise avec 
un triomphe é en faveur des connaissances astronomiques; ce qu'enfin 
la Bibliothèque des Merveilles poursuit, en vulgarisant dans les foules 
les sciences exactes et les arts, je crois devoir aujourd'hui l'essayer en 
faveur des archives de notre Histoire du Canada. 
A part ce que nous avons appris de force au collège, que savons-nous 
de l'Histoire du Canada? Combien d'entre nous ont eu la bravoure de 
compléter les notions rudimentaires des Abrégés suivis en classe, par la 
lecture entière de Ferland ou de Garneau? Quels rares étudiants, les 
érudits de l'avenir, sont allés vérifier après coup, dans les archives 
nationales, les données mêmes de l'histoire, ont remonté le cours des 
faits et retrouvé les sources, analysé ces eaux de vérité où les auteurs 
disaient avoir puisé la science, de crainte que le Mensonge ne les eut    
    
		
	
	
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