elle déduisait que les deux époux se détestaient mutuellement. 
Elle espérait, par ses dénonciations calomnieuses, provoquer entre eux 
rien de moins que le divorce et ensuite devenir l'épouse de l'illustre 
gouverneur.[1] 
[Note 1: Elle se trompait en croyant que Frontenac pourrait obtenir 
légalement le divorce, car cette loi maudite ne fut adoptée en France 
qu'en 1792, après la révolution.] 
Elle avait, à Paris, un frère qui lui servait de complice. C'était un 
misérable qui dénonçait à Frontenac, sous le voile de l'anonymat, la 
prétendue inconduite de sa femme, que toute la Cour de France avait 
surnommée la «Divine», à cause de sa beauté, de son esprit, de son tact 
et du prestige qu'elle exerçait sur tous ceux qui l'approchaient. 
Madame DeBoismorel avait une confiance aveugle dans le succès de sa 
double diplomatie: l'envoi de ses lettres perfides et l'offrande de ses
fleurs. Avec l'arme de la première, elle briserait les faibles liens qui 
pourraient peut-être encore exister entre le gouverneur et sa femme; 
avec le parfum subtil de ces fleurs, elle captiverait le coeur du mari 
outragé! 
La jolie veuve se voyait déjà par la pensée la gouvernante de la 
Nouvelle-France et l'idole de la société canadienne-française... Mais 
elle comptait sans le hasard, la perspicacité de ceux qu'elle voulait 
perdre! 
Frontenac avait résolu d'infliger à l'intrigant et à ses complices une 
punition exemplaire. Cependant, en homme avisé qu'il était, il n'agirait 
qu'après avoir pensé à tout. Il tenait à l'amour de sa femme non moins 
qu'à l'honneur. Certes! il s'avouait volontiers les torts qu'il avait eus 
jadis envers la comtesse par ses liaisons scandaleuse avec madame de 
Montespan, la favorite de Louis XIV. Mais ces torts, ces péchés de 
jeunesse, il les avait généreusement réparés et longtemps expiés. Aussi 
Dieu, la comtesse et le monde les avaient sans doute pardonné et 
oubliés. 
* * * 
Nous croyons juste et nécessaire d'ouvrir ici une courte parenthèse. 
Pour détruire les sottes légendes que certains historiens ont brodés avec 
un art diabolique sur le compte du gouverneur Frontenac et de son 
épouse, il me suffira, je crois, de résumer l'opinion--appuyée sur la 
raison et l'autorité de l'histoire--, d'un de nos écrivains les plus 
consciencieux, feu Ernest Myrand: 
«Madame de Frontenac fut un pouvoir caché dans le rayonnement du 
trône de Louis XIV. 
«Arbitre reconnu de l'élégance, du bon goût et du bel esprit, madame de 
Frontenac possédait le don de se créer autant d'amis que de 
connaissances qui, tous, avaient pour elle une admiration pleine de 
respect.
«Cette fascination irrésistible, la comtesse--diplomate l'employa à notre 
profit en deux circonstances mémorables: la première, lors de la 
nomination de son mari (6 avril 1672) au poste de gouverneur de la 
Nouvelle-France, et la seconde quand elle fit renter Frontenac (7 juin 
1689) dans son gouvernement de Québec. 
«Ne lui gardons pas une amère rancune d'être demeurée là-bas, en 
France, tout le temps que durèrent les deux administrations de son mari. 
Demeurant à Paris en permanence, madame de Frontenac était bien 
placée pour conjurer les intrigues, répondre aux plaintes et combattre 
les ennemis du gouverneur cherchant à le perdre, à le ruiner dans 
l'estime de Louis XIV par tous les moyens secrets ou déclarés.»[2] 
[Note 2: «Frontenac et ses amis», Ernest Myrand, Québec, 1902.] 
[Illustration: Déco.] 
 
[Illustration: Front.] 
 
FRONTENAC SAUVE LA COLONIE 
--- 
Deux mois se sont écoulés depuis l'incident de madame DeBoismorel. 
Des événements de la plus haute importance nous imposent le devoir 
de reléguer quelques instants cette intrigante dans l'ombre. D'ailleurs 
nous la retrouverons plus loin. 
L'Angleterre rêvait depuis longtemps de s'emparer du Canada, cette 
perle du Nouveau-Monde, et de hisser son fier drapeau au mât de la 
citadelle de Québec. 
Aussi, le 16 octobre 1690, sa flotte, composée de trente-quatre vaisseau, 
jeta l'ancre près de l'Ile d'Orléans. 
Frontenac était prêt à la recevoir. Car il connaissait, par ses éclaireurs,
les desseins et les mouvements des ennemis de la colonie, et il savait 
même que ceux-ci étaient sous le haut commandement du général sir 
William Phips. 
Le gouverneur ne redoutait pas les combats qu'on allait lui livrer. Et sa 
confiance dans la victoire reposait non seulement sur la bravoure 
éprouvée de ses soldats, mais aussi sur le courage manifesté par tous les 
citoyens de Québec et par ceux des paroisses environnantes, en âge de 
porter les armes. Il comptait également sur le précieux concours que les 
Canadiens-français des Trois-Rivières et de Montréal lui avaient 
spontanément offert. 
Or, sur les dix heures, Frontenac vit une chaloupe partir du vaisseau 
amiral anglais et se diriger vers Québec. 
Elle portait un drapeau blanc et avait à son bord un parlementaire. 
Lorsque celui-ci toucha le rivage, il fut conduit, les yeux bandés, au 
Château Saint-Louis où se tenait Frontenac entouré d'un brillant 
état-major. 
Le parlementaire donna lecture d'un document ayant tout le caractère 
d'une insolente sommation et que terminaient    
    
		
	
	
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