Une Confédération Orientale comme solution de la Question dOrient (1905) | Page 2

Un Latin
l'idée d'une confédération telle que nous croyons devoir la préconiser, nous estimerons que nos efforts n'ont pas été perdus.
Les peuples chrétiens d'Orient, au lieu de s'épuiser en luttes vaines pour tacher de s'absorber les uns les autres, pourraient en effet, au prix de mutuelles concessions, vivre en fraternelle intelligence et concourir à une oeuvre commune de rénovation politique et économique. Il est certain que pour réagir contre l'instinct qui les entra?ne vers une politique d'expansion et de suprématie, pour sacrifier au sentiment d'équité et à l'intérêt de la pacification une part de leur idéal national, les peuples ont besoin d'un effort sur eux-mêmes plus grand et plus noble que l'ardeur naturelle qui les pousse à se combattre.
Mais, comme l'a dit, il n'y a pas longtemps, un homme politique fran?ais: ?L'humanité serait vraiment maudite si, pour faire preuve de courage, elle était condamnée à tuer perpétuellement[1].?
[Note 1: J. JAURèS, ?Discours prononcé à la distribution des prix du lycée d'Albi,? 30 juillet 1903.]
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CHAPITRE PREMIER
COUP D'OEIL SUR LA SITUATION DE L'EMPIRE OTTOMAN
RIVALITéS INTERNATIONALES.--IMPUISSANCE DE LA TURQUIE. --OBSTACLES à L'APPLICATION DES RéFORMES.
Devant le spectacle des conflits sanglants qui bouleversent à nouveau la péninsule balkanique et qui sont arrivés à leur paroxysme en 1903, on est unanime à reconna?tre l'impossibilité de relever l'autorité de la Turquie--ce ?turban vide? comme disait Lamartine en 1840--dans les régions européennes encore soumises à sa domination.
Les Turcs se sont établis en Europe à une époque où les peuples orientaux, désunis, en état de décadence, méritaient de subir un ma?tre; mais un empire fondé par la violence est fatalement destiné à dispara?tre le jour où il ne possède plus la force nécessaire pour primer le droit. Depuis qu'ils furent chassés par Sobiesky de sous les murs de Vienne, les Turcs ont perdu sans cesse du terrain, et nous assistons à la dernière phase de la lutte, en Europe, entre la chrétienté et l'islamisme.
La Turquie s'est toujours montrée impuissante à absorber les nationalités chrétiennes auxquelles elle s'est superposée, et aujourd'hui, l'autorité hamidienne, tour à tour débile et violente, ne peut plus retenir sous le joug les peuples opprimés depuis des siècles.
C'est en vain que, depuis soixante ans, la Porte a emprunté à la civilisation européenne quelques-unes de ses lois, quelques-uns de ses procédés administratifs. En 1839, le hatti-chérif de Gul-Hané, ou _loi du Tanzimat_, décrétait bien en principe l'égalité devant la loi de tous les sujets de la Porte, sans distinction de religion; mais il ne fut jamais appliqué et laissa la condition des chrétiens sans amélioration.
En établissant, en 1839 et en 1856, les bases d'un droit public ottoman; en promulguant successivement des codes et des règlements, la Turquie avait manifesté son intention de se réformer radicalement; mais les idées libérales et généreuses s'implantent difficilement dans des esprits d'un conservatisme traditionnel et intransigeant, gardant une conception arrêtée du r?le de l'état et des moeurs administratives spéciales.
Les vues politiques des Jeunes-Turcs, alors même que ceux-ci auraient toujours des convictions sincères résistant à l'appat d'une haute fonction ou d'une grasse sinécure, sont forcément erronées, elles aussi; car toute organisation sociale turque ne saurait être basée que sur l'islamisme, tandis que le droit civil européen, que voudraient imiter ces novateurs, découle essentiellement de la doctrine chrétienne.
D'ailleurs, avec le plus évident bon vouloir, avec les concessions les plus étendues, la contradiction des intérêts en présence et--il faut bien le dire à la décharge de la responsabilité ottomane--les intrigues perpétuelles des grandes puissances à Constantinople, ne permettraient pas aux autorités turques l'accomplissement d'un programme de réformes. Celui-ci leur est demandé avec la conviction qu'elles sont incapables de l'exécuter et l'espoir que leur impuissance donnera prétexte à intervenir plus directement.
Depuis le traité de Vienne et dans toutes les négociations qui ont cl?turé les phases les plus importantes de la question d'Orient, (Paix d'Andrinople, 1829; Traité de Paris, 1856; Traités de San-Stefano et de Berlin, 1878), les diplomates se sont toujours appliqués à résoudre cette question dans le sens de leurs intérêts respectifs, ne se souciant guère, la plupart du temps, des légitimes aspirations des peuples au nom desquels ils étaient entrés en mouvement.
De telle sorte, la question d'Orient a été envisagée comme une affaire de succession ouverte, d'héritage revendiqué par certaines grandes puissances: on peut dire que, jusqu'ici, elle a été plut?t une question d'Occident.
Au cours de ces dernières années, la lutte sourde qui dure depuis des siècles s'est circonscrite plus spécialement entre quatre grandes puissances: l'Allemagne, la Russie, l'Autriche et l'Italie.
L'Allemagne considère que son domaine colonial est tout à fait insuffisant pour sa force d'expansion. Poussée par le Drang nach Osten, à l'aide du Zollverein,--ou, pour employer une expression plus récente, de ?l'association économique de l'Europe centrale? qui cache des arrière-pensées politiques,--elle cherche à parvenir jusqu'à l'Adriatique et à Trieste. Les pangermanistes ne se gênent point pour déclarer que ce port, qui est
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