avec l'espoir de le réaliser plus complètement dans 
l'avenir. Il faudra donc que cette question soit une fois tranchée, et l'on serait peut-être 
déjà entré dans cette voie, si les événements d'Extrême-Orient n'avaient concouru au 
maintien de l'équilibre oriental européen, en appelant l'Empire moscovite sur les champs 
de bataille de la Mandchourie et en enlevant l'espoir de son intervention à certains 
éléments turbulents des Balkans. 
Mais si les Bulgares ont cherché pour l'instant à améliorer leurs rapports avec la Turquie, 
il n'en est pas moins vrai que la liquidation de l'Empire ottoman en Europe sera reprise 
aussitôt que les événements le permettront. On sait sur quel ton menaçant le comte 
Goluchowski, dans son dernier discours aux Délégations, s'est exprimé à l'adresse de la 
Turquie, pour le cas où les réformes ne seraient pas strictement appliquées. Or celle-ci ne 
saurait appliquer des réformes sérieuses et devenir un État dans l'acception occidentale du 
terme, sans renverser les bases mêmes de sa constitution monarchique absolue. 
Si, aujourd'hui, de grands États comme l'Autriche-Hongrie conservent péniblement leur 
équilibre à la suite du réveil des nationalités, comment espérer que les chrétiens de 
Turquie, opprimés depuis cinq siècles, puissent vivre en harmonie et coopérer à une 
oeuvre de régénération avec les Turcs, dont les éloigne une haine nationale et religieuse? 
Rien ne pourra donc adoucir les rapports entre Turcs et chrétiens; de nombreux 
mouvements révolutionnaires, à commencer par ceux de 1821 et de 1854, puis de 1876, 
et enfin les récents soulèvements bulgares, en sont la preuve. 
C'est une chimère de croire que «l'homme malade» pourrait entrer en convalescence; que 
la Turquie pourrait s'établir sur de nouvelles bases politiques, attirer les peuples chrétiens 
comme des satellites dans l'orbite de son système de gouvernement, et appeler tous ses 
sujets à une existence de liberté et de fraternité. Comment concilier ces idées avec la 
doctrine mahométane, qui creuse un abîme entre les «croyants» et les infidèles? Ne 
sont-elles pas en opposition formelle avec la conception de l'État ottoman, qui découle 
des principes mêmes du Koran? 
La Turquie a promis des réformes avant 1896, en 1878 et en 1888, sans jamais tenir 
parole, soit qu'elle ne voulut point les opérer, soit aussi qu'elle fut sourdement 
contrecarrée dans ses efforts par telle ou telle nation balkanique. Certains États sont, en 
effet, intéressés à prolonger, sur des points donnés du territoire ottoman, un état 
d'anarchie pour en tirer parti en vue soit de leurs intérêts particuliers du moment, soit de 
leurs ambitions respectives d'avenir.
Il faut bien l'avouer, la Turquie fut toujours médiocrement guidée dans la bonne voie par 
les puissances européennes, qui, tout en admettant en principe que la Sublime-Porte 
participât aux avantages du droit européen (Traité de Paris, 1856), maintinrent en fait sur 
son territoire le régime des capitulations, régime qui leur assurait d'énormes avantages en 
Turquie et leur fournissait prétexte à des chicanes de toutes sortes. 
En résumé, nous persistons à croire que malgré le très sérieux effort tenté par la 
gendarmerie internationale en Macédoine, un plan de réformes, dans la véritable 
acception du mot, ne pourra jamais être appliqué dans l'ensemble de l'Empire, dont 
l'organisation ne comporte pas un esprit de suite suffisant. 
 
CHAPITRE II 
LES «ROUMIS» CONSIDÉRÉS DANS LEUR ENSEMBLE 
Nous venons d'esquisser à larges traits les intérêts particuliers, contradictoires d'ailleurs, 
de celles des grandes puissances qui, en raison de leur situation géographique, se croient 
plus particulièrement appelées à bénéficier de la liquidation de l'Empire ottoman en 
Europe. Nous allons résumer maintenant l'origine, l'état actuel et l'idéal politique des 
éléments chrétiens qui peuplent la péninsule balkanique et qui, malgré la diversité 
apparente des races,--diversité basée souvent sur la langue plutôt que sur l'origine 
véritable,--offrent tant de points de ressemblance par le sang, la religion, le passé 
historique, les traditions et les moeurs, tant de souvenirs communs, tant de communes 
aspirations. 
Dans le dernier volume des Mélanges historiques et religieux[7] de Renan, nous trouvons 
un passage saisissant qui va venir à l'appui de notre thèse: 
«Au-dessus de la langue et de la race; au-dessus même de la géographie, des frontières 
naturelles, des divisions résultant de la différence des croyances religieuses et des cultes; 
au-dessus des questions de dynastie, il y a quelque chose que nous plaçons: c'est le 
respect de l'homme envisagé comme un être moral; en un mot, la véritable base d'une 
nation, avant la langue, avant la race, c'est le consentement des populations, c'est leur 
volonté de continuer (ou de commencer) à vivre ensemble... C'est qu'une nation, c'est 
avant tout une âme, un esprit, une famille spirituelle, résultant pour le passé de souvenirs 
communs, de gloires communes, quelquefois aussi de deuils communs, car le deuil 
rassemble les coeurs autant que la gloire,... et pour le présent (c'est là un critérium d'une 
évidence absolue), du consentement des populations.» 
[Note 7: Paris, Calmann Lévy, 1904.] 
Ce consentement, les    
    
		
	
	
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