être 
grande et triste quand le vent gémit et que la mer se livre à ses 
formidables colères! Mais ce matin tout était calme et les goélands 
séchaient coquettement leurs plumes sur ces rochers où ils viennent 
prophétiser la tempête. 
26 juin. 
Aujourd'hui j'attendais ma mère, et je suis allée à l'arrivée du bateau, 
mais déception. Il n'y avait pour moi qu'une lettre et un bouquet de 
roses. Je me suis vite sauvée pour lire ma lettre. Je n'aime pas ces 
foules bruyantes où les cochers et les gamins ont la haute note. Elmire 
est venue me rejoindre et après m'avoir pris la moitié de mon bouquet, 
elle a décidé qu'il fallait explorer la grève en deçà du quai. Nous avons 
commencé par escalader les énormes blocs qui sont là, et nous y avons 
trouvé une grotte profonde à demi fermée par des bouquets de jeunes 
cèdres. Les oiseaux, il me semble, doivent aimer cette grotte le matin, 
les jours d'automne surtout, car le soleil levant l'emplit de rayons et y 
fait bourdonner sans doute une foule d'insectes. Mais ce soir elle était 
pleine d'ombre et de fraîcheur. Nous y sommes restées longtemps.
J'avais sur l'âme une brume de mélancolie. Ma mère viendra demain. 
Ce n'est qu'un retard d'un jour, mais cela suffit pour attrister. L'âme a 
un ciel si changeant! Pourtant qu'il faisait beau ce soir! J'ai laissé la 
grotte avec regret. Pauvre grotte, me disais-je, ce matin elle s'est emplie 
de soleil, de chaleur et de vie avant le reste de la nature qui l'entoure, et 
la voilà pleine d'ombre pendant que le soleil rayonne encore partout, 
sur le Cap-à-l'Aigle, sur le fleuve si beau, sur les clochers lointains qui 
scintillent le long de la côte du sud. Et je pensais à une âme qui 
m'intéresse et que la tristesse semble envelopper. 
Pour moi, jusqu'à présent, la vie a été bien douce. Il est vrai, je n'ai pas 
connu ma mère, c'est à peine s'il me reste un souvenir de mon père, et 
pourtant j'ai été heureuse, car ma belle-mère m'aime avec une tendresse 
plus que maternelle. Mais combien d'âmes ouvertes dans leurs beaux 
jours d'enfance à tous les rayons du ciel, plus illuminées peut-être que 
les autres, ont vu tout à coup, par une permission de Dieu, la nuit les 
envahir de bonne heure! 
Hélas! la vie est semblable à la mer; Son flot, parfois caressant sur la 
plage, Écume au large et devient plus amer. 
30 juin. 
M. Douglas est protestant; je m'en doutais, et pourtant il m'a été pénible 
de le lui entendre dire. 
À la première occasion, ma mère lui a parlé de sa belle conduite à 
l'incendie de Philadelphie. Il a rougi comme une jeune fille et nous a 
assurées que dans la surexcitation on expose facilement sa vie. Il 
prétend que son agilité de montagnard est pour beaucoup dans ce que 
nous appelons son héroïsme. 
Ma mère ne lui a pas caché comme nous désirions le connaître, comme 
nous lui en voulions de s'être dérobé à toutes les recherches. J'étais un 
peu confuse, et lui n'était pas à l'aise non plus. Il a souri en entendant 
dire que, jusqu'à notre départ de Philadelphie, je m'étais obstinée à 
rêver pour lui une ovation populaire. Le sourire a un singulier charme 
sur sa bouche sérieuse, c'est dommage qu'il soit si rare. D'où vient la 
tristesse qui lui est habituelle. D'abord, j'avais cru que c'était l'ennui de 
se trouver au milieu d'étrangers; mais ce n'est pas cela. Il a un grand 
chagrin. Malgré son calme, sa réserve anglaise, on ne peut le voir 
longtemps sans s'en apercevoir. Pourquoi souffre-t-il? Je suis 
condamnée à entendre là-dessus bien des suppositions. Quoi qu'il en
soit, je suis sûre que ce n'est pas une douleur vulgaire qui assombrit ce 
noble front. Jusqu'à présent, je ne sais rien de sa vie, si ce n'est qu'il a 
perdu ses parents de bonne heure et qu'il n'a ni soeur ni frère. 
Il nous a priées de ne rien dire de l'incendie de Philadelphie. Soit, je 
n'en dirai rien, mais j'y pense souvent. Noble jeune homme! Quand moi 
et tant d'autres ne savions donner que notre impuissante compassion, 
lui s'est exposé avec une générosité sublime. Quel parfum un pareil 
souvenir doit laisser dans l'âme! Souvent, en le regardant, je me 
demande ce qu'il dut éprouver quand il se trouva seul après s'être 
dérobé aux applaudissements de la foule. Jamais je ne connaîtrai la joie 
du dévouement héroïque, mais je remercie Dieu d'avoir été témoin 
d'une action vraiment courageuse, vraiment désintéressée, vraiment 
généreuse. L'admiration élève l'âme et satisfait un des plus doux 
besoins du coeur. 
8 juillet. 
Je me sens souvent inquiète et troublée. Où est le calme, la sereine 
insouciance de ma jeunesse? Je suis bien différente de moi-même, de 
ce pauvre moi que je    
    
		
	
	
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