de la croix était sur eux, ils 
ne succombaient pas à la tentation, et les esprits immondes, reprenant 
leur véritable figure, s'éloignaient dès l'aurore, pleins de honte et de 
rage. Il n'était pas rare, à l'aube, de rencontrer un de ceux-là s'enfuyant 
tout en larmes, et répondant à ceux qui l'interrogeaient: «Je pleure et je
gémis, parce qu'un des chrétiens qui habitent ici m'a battu avec des 
verges et chassé ignominieusement.» 
Les anciens du désert étendaient leur puissance sur les pécheurs et sur 
les impies. Leur bonté était parfois terrible. Ils tenaient des apôtres le 
pouvoir de punir les offenses faites au vrai Dieu, et rien ne pouvait 
sauver ceux qu'ils avaient condamnés. L'on contait avec épouvante dans 
les villes et jusque dans le peuple d'Alexandrie que la terre 
s'entr'ouvrait pour engloutir les méchants qu'ils frappaient de leur bâton. 
Aussi étaient-ils très redoutés des gens de mauvaise vie et 
particulièrement des mimes, des baladins, des prêtres mariés et des 
courtisanes. 
Telle était la vertu de ces religieux, qu'elle soumettait à son pouvoir 
jusqu'aux bêtes féroces. Lorsqu'un solitaire était près de mourir, un lion 
lui venait creuser une fosse avec ses ongles. Le saint homme, 
connaissant par là que Dieu l'appelait à lui, s'en allait baiser la joue à 
tous ses frères. Puis il se couchait avec allégresse, pour s'endormir dans 
le Seigneur. 
Or, depuis qu'Antoine, âgé de plus de cent ans, s'était retiré sur le mont 
Colzin avec ses disciples bien-aimés, Macaire et Amathas, il n'y avait 
pas dans toute la Thébaïde de moine plus abondant en oeuvres que 
Paphnuce, abbé d'Antinoé. A vrai dire, Ephrem et Sérapion 
commandaient à un plus grand nombre de moines et excellaient dans la 
conduite spirituelle et temporelle de leurs monastères. Mais Paphnuce 
observait les jeûnes les plus rigoureux et demeurait parfois trois jours 
entiers sans prendre de nourriture. Il portait un cilice d'un poil très rude, 
se flagellait matin et soir et se tenait souvent prosterné le front contre 
terre. 
Ses vingt-quatre disciples, ayant construit leurs cabanes proche la 
sienne, imitaient ses austérités. Il les aimait chèrement en Jésus-Christ 
et les exhortait sans cesse à la pénitence. Au nombre de ses fils 
spirituels se trouvaient des hommes qui, après s'être livrés au 
brigandage pendant de longues années, avaient été touchés par les 
exhortations du saint abbé au point d'embrasser l'état monastique. La 
pureté de leur vie édifiait leurs compagnons. On distinguait parmi eux 
l'ancien cuisinier d'une reine d'Abyssinie qui, converti semblablement 
par l'abbé d'Antinoé, ne cessait de répandre des larmes, et le diacre 
Flavien, qui avait la connaissance des écritures et parlait avec adresse.
Mais le plus admirable des disciples de Paphnuce était un jeune paysan 
nommé Paul et surnommé le Simple, à cause de son extrême naïveté. 
Les hommes raillaient sa candeur, mais Dieu le favorisait en lui 
envoyant des visions et en lui accordant le don de prophétie. 
Paphnuce sanctifiait ses heures par l'enseignement de ses disciples et 
les pratiques de l'ascétisme. Souvent aussi, il méditait sur les livres 
sacrés pour y trouver des allégories. C'est pourquoi, jeune encore d'âge, 
il abondait en mérites. Les diables qui livrent de si rudes assauts aux 
bons anachorètes n'osaient s'approcher de lui. La nuit, au clair de lune, 
sept petits chacals se tenaient devant sa cellule, assis sur leur derrière, 
immobiles, silencieux, dressant l'oreille. Et l'on croit que c'était sept 
démons qu'il retenait sur son seuil par la vertu de sa sainteté. 
Paphnuce était né à Alexandrie de parents nobles, qui l'avaient fait 
instruire dans les lettres profanes. Il avait même été séduit par les 
mensonges des poètes, et tels étaient, en sa première jeunesse, l'erreur 
de son esprit et le dérèglement de sa pensée, qu'il croyait que la race 
humaine avait été noyée par les eaux du déluge au temps de Deucalion, 
et qu'il disputait avec ses condisciples sur la nature, les attributs et 
l'existence même de Dieu. Il vivait alors dans la dissipation, à la 
manière des gentils. Et c'est un temps qu'il ne se rappelait qu'avec honte 
et pour sa confusion. 
--Durant ces jours, disait-il à ses frères, je bouillais dans la chaudière 
des fausses délices. 
Il entendait par là qu'il mangeait des viandes habilement apprêtées et 
qu'il fréquentait les bains publics. En effet, il avait mené jusqu'à sa 
vingtième année cette vie du siècle, qu'il conviendrait mieux d'appeler 
mort que vie. Mais, ayant reçu les leçons du prêtre Macrin, il devint un 
homme nouveau. 
La vérité le pénétra tout entier, et il avait coutume de dire qu'elle était 
entrée en lui comme une épée. Il embrassa la foi du Calvaire et il adora 
Jésus crucifié. Après son baptême, il resta un an encore parmi les 
gentils, dans le siècle où le retenaient les liens de l'habitude. Mais un 
jour, étant entré dans une église, il entendit le diacre qui lisait ce verset    
    
		
	
	
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