abat-jour, qu'ils posent sur un coin de leur comptoir, et les passants 
peuvent alors distinguer ce qu'il y a au fond de ces trous où la nuit 
habite pendant le jour. Sur la ligne noirâtre des devantures, les vitres 
d'un cartonnier flamboient: deux lampes à schiste trouent l'ombre de 
deux flammes jaunes. Et, de l'autre côté, une bougie, plantée au milieu 
d'un verre à quinquet, met des étoiles de lumière dans la boite de bijoux 
faux. La marchande sommeille au fond de son armoire, les mains
cachées sous son châle. 
Il y a quelques années, en face de cette marchande, se trouvait une 
boutique dont les boiseries d'un vert bouteille suaient l'humidité par 
toutes leurs fentes. L'enseigne, faite d'une planche étroite et longue, 
portait, en lettres noires, le mot: Mercerie, et sur une des vitres de la 
porte était écrit un nom de femme: _Thérèse Raquin_, en caractères 
rouges. A droite et à gauche s'enfonçaient des vitrines profondes, 
tapissées de papier bleu. 
Pendant le jour, le regard ne pouvait distinguer que l'étalage dans un 
clair-obscur adouci. 
D'un côté, il y avait un peu de lingerie: des bonnets de tulle tuyantés à 
deux et trois francs pièce, des manches et des cols de mousseline; puis 
des tricots, des bas, des chaussettes, des bretelles. Chaque objet, jauni 
et fripé, était lamentablement pendu à un crochet de fil de fer. La 
vitrine, de haut en bas, se trouvait ainsi emplie de loques blanchâtres 
qui prenaient un aspect lugubre dans l'obscurité transparente. Les 
bonnets neufs, d'un blanc plus éclatant, faisaient des taches crues sur le 
papier bleu dont les planches étaient garnies. Et, accrochées le long 
d'une tringle, les chaussettes de couleur mettaient des notes sombres 
dans l'effacement blafard et vague de la mousseline. 
De l'autre coté, dans une vitrine plus étroite, s'étageaient de gros 
pelotons de laine verte, des boutons noirs cousus sur des cartes 
blanches, des boîtes de toutes les couleurs et de toutes les dimensions, 
des résilles à perles d'acier étalées sur des ronds de papier bleuâtre, des 
faisceaux d'aiguilles à tricoter, des modèles de tapisserie, des bobines 
de rubans, un entassement d'objets ternes et fanés qui dormaient sans 
doute en cet endroit depuis cinq ou six ans. Toutes les teintes avaient 
tourné au gris sale, dans cette armoire que la poussière et l'humidité 
pourrissaient. 
Vers midi, en été, lorsque le soleil brûlait les places et les rues de 
rayons fauves, on distinguait, derrière les bonnets de l'autre vitrine, un 
profil pâle et grave de jeune femme. Ce profil sortait vaguement des 
ténèbres qui régnaient dans la boutique. Au front bas et sec s'attachait 
un nez long, étroit, effilé; les lèvres étaient deux minces traits d'un rosé 
pâle, et le menton, court et nerveux, tenait au cou par une ligne souple 
et grasse. On ne voyait pas le corps, qui se perdait dans l'ombre: le 
profil seul apparaissait, d'une blancheur mate, troué d'un oeil noir
largement ouvert, et comme écrasé sous une épaisse chevelure sombre. 
Il était là, pendant des heures, immobile et paisible, entre deux bonnets 
sur lesquels les tringles humides avaient laissé des bandes de rouille. 
Le soir, lorsque la lampe était allumée, on voyait l'intérieur de la 
boutique. Elle était plus longue que profonde; à l'autre bout, un escalier 
en forme de vis menait aux chambres du premier étage. Contre les murs 
étaient plaquées des vitrines, des armoires, des rangées de cartons verts; 
quatre chaises et une table complétaient le mobilier. La pièce paraissait 
nue, glaciale; les marchandises, empaquetées, serrées dans des coins, ne 
traînaient pas ça et là avec leur joyeux tapage de couleurs. 
D'ordinaire, il y avait deux femmes assises derrière le comptoir: une 
jeune femme au profil grave et une vieille dame qui souriait en 
sommeillant. Cette dernière avait environ soixante ans; son visage gras 
et placide blanchissait sous les clartés de la lampe. Un gros chat tigré, 
accroupi sur un angle du comptoir, la regardait dormir. 
Plus bas, assis sur une chaise, un homme d'une trentaine d'années lisait 
ou causait à demi-voix avec la jeune femme. Il était petit, chétif, 
d'allure languissante; les cheveux d'un blond fade, la barbe rare, le 
visage couvert de taches de rousseur, il ressemblait à un enfant malade 
et gâté. 
Un peu avant dix heures, la vieille dame se réveillait. On fermait la 
boutique, et toute la famille montait se coucher. Le chat tigré suivait ses 
maîtres en ronronnant, en se frottant la tête contre chaque barreau de la 
rampe. 
En haut, le logement se composait de trois pièces. L'escalier donnait 
dans une salle à manger qui servait en même temps de salon. A gauche 
était un poêle de faïence dans une niche; en face se dressait un buffet, 
puis des chaises se rangeaient le long des murs, une table ronde, toute 
ouverte, coupait le milieu de la pièce. Au fond,    
    
		
	
	
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