des gens du 
monde. 
--C'est par trop de mépris des gens qui sont nos frères. 
--Vous parlez dignement, monsieur le curé, et je suis de votre opinion. 
Mais vous conviendrez que, placés comme les voilà sur le siège de la 
voiture, on pourrait supposer que je tiens à cette dame des discours trop 
tendres, que je peux lui prendre et lui baiser la main à la dérobée. 
Le curé fit un geste d'effroi, mais c'était pour la forme; son visage ne 
trahit aucune émotion. Il avait passé l'âge où de brûlantes pensées 
tourmentent le prêtre. Ou bien possible est qu'il ne se fût pas abstenu 
toujours au point de haïr la vie et de condamner le bonheur. Léonce se 
divertit à voir combien ses prétendus scrupules lui semblaient puérils. 
--Si ce n'est que cela, repartit le bonhomme, vous pouvez placer la 
noire dans la voiture entre vous deux. Sa présence mettra en fuite le 
démon de la médisance. 
--Ce n'est guère l'usage, dit le jeune homme embarrassé de la judiciaire 
du vieux prêtre. Cela semblerait affecté. Le danger est donc bien grand, 
penseraient les méchants, puisqu'ils sont forcés de mettre entre eux une 
vilaine négresse? Au lieu que la présence d'un prêtre sanctifie tout. Un 
digne pasteur comme vous est l'ami naturel de tous les fidèles, et 
chacun doit comprendre que l'on recherche sa société.
--Vous êtes fort aimable, mon cher Monsieur, et je ne demanderais qu'à 
vous obliger, répondit le curé, flatté et séduit peu à peu; mais je n'ai pas 
encore dit ma messe, et voici le premier coup qui sonne. Donnez-moi 
vingt minutes... ou plutôt venez entendre la messe. Ce n'est pas 
obligatoire dans la semaine, mais cela ne peut jamais faire de mal; 
après cela vous me permettrez de déjeuner, et nous irons ensuite faire 
un tour de promenade ensemble si vous le désirez. 
--Nous entendrons la messe, répondit Léonce; mais aussitôt après, nous 
vous emmènerons déjeuner avec nous dans la campagne. 
--Vous y déjeunerez fort mal, observa vivement le curé, à qui cette idée 
parut plus sérieuse que tout ce qui avait précédé. On ne trouve rien qui 
vaille dans ce pays aussi pauvre que pittoresque. 
--Nous avons d'excellent vin et des vivres assez recherchés dans la 
caisse de la voiture, reprit Léonce. Nous avions donné rendez-vous à 
plusieurs personnes pour aller manger sur l'herbe, et chacun de nous 
devait porter une part du festin. Mais comme toutes ont manqué de 
parole, excepté moi, il se trouve que je suis assez bien pourvu pour le 
petit nombre de convives que nous sommes. 
--A la bonne heure, dit le curé, tout à fait décidé. Je vois que vous aviez 
une jolie partie en train, et que sans moi elle serait troublée par 
l'embarras de ce dangereux tête-à-tête. Je ne veux pas vous la faire 
manquer, j'irai avec vous, pourvu que ce ne soit pas trop loin; car je ne 
manque pas d'affaires ici. Il plaît à l'un de naître, à l'autre de mourir, et 
c'est tous les jours à recommencer. Allons, avertissez votre dame; je 
cours à mon église. 
--Eh bien, donc, dit Sabina, qui, en attendant le retour de Léonce, avait 
pris un livre dans la poche de la voiture et feuilletait 
_Wilhelm-Meister_; j'ai cru que vous m'aviez oubliée, et je m'en 
consolais avec cet adorable conte. 
--Je l'avais apporté pour vous, dit Léonce; je savais que vous ne le 
connaissiez pas encore, et que c'était la lecture qu'il vous fallait pour le 
moment. 
--Vous avez des attentions charmantes. Mais que faisons-nous? 
--Nous allons à la messe. 
--L'étrange idée! Est-ce en me faisant faire mon salut que vous comptez 
me divertir? 
--Il vous est interdit de scruter mes pensées et de deviner mes intentions.
Du moment où je ne porterais plus votre inconnu dans mon cerveau, 
vous ne me laisseriez rien achever de ce que j'aurais entrepris. 
--C'est vrai. Allons donc à la messe; mais que vouliez-vous faire de ce 
curé? 
--Eh quoi, toujours des questions, quand vous savez que l'oracle doit 
être muet? 
--Vos bizarreries commencent à m'intéresser. Est-ce qu'il ne m'est pas 
même permis de chercher à comprendre? 
--Parfaitement, je ne risque point d'être deviné. 
Le wurst traversa le hameau et s'arrêta devant l'église rustique. Elle 
était ordinairement presque déserte aux messes de la semaine, mais elle 
se remplit de femmes et d'enfants curieux dès que les deux nobles 
voyageurs y furent entrés. Cependant le plus grand nombre retourna 
bientôt sous le porche pour admirer les chevaux, toucher la voiture, et 
surtout contempler la négresse, qui leur causait un étonnement mêlé 
d'ironie et d'effroi. 
Le sacristain vint placer Sabina et Léonce dans le banc d'honneur. L'air 
des montagnes est si vif, que le curé avait déjà faim et ne traînait pas sa 
messe en longueur. 
Lady G... avait pris du bout des doigts un missel    
    
		
	
	
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