Teverino | Page 4

George Sand
avant, l'instant pr��sent nous ��chappe et avec lui ma toute-puissance.
--Vous avez raison, L��once; je laisse ��teindre mon imagination par ces souvenirs de la vie r��elle. Allons! que lord G... s'��veille �� l'heure qu'il voudra; qu'il demande o�� je suis; qu'il sache que je cours les champs avec vous, qu'importe?
--D'abord il n'est pas jaloux de moi.
--Il n'est jaloux de personne. Mais les convenances, mais la pruderie britannique!
--Que fera-t-il de pis?
--Il maudira le jour o�� il s'est mis en t��te d'��pouser une Fran?aise, et, pendant trois heures au moins, il saisira toute occasion de pr��coniser les charmes des grandes poup��es d'Albion. Il murmurera entre ses dents que l'Angleterre est la premi��re nation de l'univers; que la n?tre est un h?pital de fous; que lord Wellington est sup��rieur �� Napol��on, et que les docks de Londres sont mieux batis que les palais de Venise.
--Est-ce l�� tout?
--N'est-ce pas assez? Le moyen d'entendre dire de pareilles choses sans le railler et le contredire!
--Et qu'arrive-t-il quand vous rompez le silence du d��dain?
--Il va souper avec lord H..., avec sir J..., avec M. D..., apr��s quoi il dort vingt-quatre heures.
--L'avez-vous contrari�� hier?
--Beaucoup. Je lui ai dit que son cheval anglais avait l'air b��te.
--En ce cas, soyez donc tranquille, il dormira jusqu'�� ce soir.
--Vous en r��pondez?
--Je l'ordonne.
--Eh bien, vivat! que ses esprits reposent en paix, et que le mariage lui soit l��ger! Savez-vous, L��once, que c'est un joug affreux que celui-l��?
--Oui, il y a des maris qui battent leur femme.
--Ce n'est rien; il y en a d'autres qui les font p��rir d'ennui.
--Est-ce donc l�� toute la cause de votre spleen? Je ne le crois pas, milady.
--Oh! ne m'appelez pas Milady! Je me figure alors que je suis Anglaise. C'est bien assez qu'on veuille me persuader, quand je suis en Angleterre, que mon mari m'a d��nationalis��e.
--Mais vous ne r��pondez �� ma question, Sabina?
--Eh! que puis-je r��pondre? Sais-je la cause de mon mal?
--Voulez-vous que je vous la dise?
--Vous me l'avez dite cent fois, n'y revenons pas inutilement.
--Pardon, pardon, Madame. Vous m'avez trait�� de docteur subtil, admirable, vous m'avez investi du droit de vous gu��rir, ne f?t-ce que pour un jour...
--De me gu��rir en m'amusant, et ce que vous allez me dire m'ennuiera, je le sais.
--Inutile d��faite d'une pudeur qu'un tendre soupirant trouverait charmante, mais que votre grave m��decin trouve souverainement pu��rile!
--Eh bien, si vous ��tes cassant et brutal, je vous aime mieux ainsi. Parlez donc.
--L'absence d'amour vous exasp��re, votre ennui est l'impatience et non le d��go?t de vivre, votre fiert�� exag��r��e trahit une faiblesse incroyable. Il faut aimer, Sabina.
--Vous parlez d'aimer comme de boire un verre d'eau. Est-ce ma faute, si personne ne me pla?t?
--Oui, c'est votre faute! Votre esprit a pris un mauvais tour, votre caract��re s'est aigri, vous avez caress�� votre amour-propre, et vous vous estimez si haut d��sormais que personne ne vous semble digne de vous. Vous trouvez que je vous dis de grandes duret��s, n'est-ce pas? Aimeriez-vous mieux des fadeurs?
--Oh! je vous trouve charmant aujourd'hui, au contraire! s'��cria en riant lady G... sur le beau visage de laquelle un peu d'humeur avait cependant pass��. Eh bien, laissez-moi me justifier, et citez-moi quelqu'un qui me donne tort. Je trouve tous les hommes que le monde jette autour de moi ou vains et stupides, ou intelligents et glac��s. J'ai piti�� des uns, j'ai peur des autres.
--Vous n'avez pas tort. Pourquoi ne cherchez-vous pas hors du monde?
--Est-ce qu'une femme peut chercher? Fi donc!
--Mais on peut se promener quelquefois, rencontrer, et ne pas trop fuir.
--Non, on ne peut pas se promener hors du monde, le monde vous suit partout, quand on est du grand monde. Et puis, qu'y a-t-il hors du monde? des bourgeois, race vulgaire et insolente; du peuple, race abrutie et malpropre; des artistes, race ambitieuse et profond��ment ��go?ste. Tout cela ne vaut pas mieux que nous, L��once. Et puis, si vous voulez que je me confesse, je vous dirai que je crois un peu �� l'excellence de notre sang patricien. Si tout n'��tait pas d��g��n��r�� et corrompu dans le genre humain, c'est encore l�� qu'il faudrait esp��rer de trouver des types ��lev��s et des natures d'��lite. Je ne nie pas les transformations de l'avenir, mais jusqu'ici je vois encore le sceau du vasselage sur tous ces fronts r��cemment affranchis. Je ne hais ni ne m��prise, je ne crains pas non plus cette race qui va, dit-on, nous chasser; j'y consens. Je pourrais avoir de l'estime, du respect et de l'amiti�� pour certains pl��b��iens; mais mon amour est une fleur d��licate qui ne cro?t pas dans le premier terrain venu; j'ai des nerfs de marquise; je ne saurais me changer et me mani��rer. Plus j'accepte l'��galit�� future, moins je me sens capable de ch��rir et de caresser ce que l'in��galit�� a souill�� dans le pass��. Voil�� toute ma th��orie, L��once, vous n'avez donc pas lieu de me pr��cher.
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