Teverino | Page 2

George Sand
ainsi d'un air affectueusement nonchalant:
?Je vois, mon ami, que vous n'avez pas re?u mon billet d'hier soir, et que vous ne savez pas ce qui nous arrive. La duchesse a des vapeurs et ne permet point �� ses amants de se promener sans elle. La marquise doit avoir eu une querelle de m��nage, car elle se dit malade. Le comte l'est pour tout de bon; le docteur a affaire, si bien que tout le monde me manque de parole et me prie de remettre �� la semaine prochaine notre projet de promenade.
--Ainsi, faute d'avoir re?u votre avertissement, j'arrive fort mal �� propos, dit L��once, et je me conduis comme un provincial en venant troubler votre sommeil. Je suis si humili�� de ma gaucherie, que je ne trouve rien �� dire pour me la faire pardonner.
--Ne vous la reprochez pas; je ne dormais plus depuis longtemps. Le caprice de toutes ces dames m'avait caus�� tant d'humeur hier soir, qu'apr��s avoir jet�� au feu leurs sots billets, je me suis couch��e de fort bonne heure, et endormie de rage. Je suis fort aise de vous voir, il me tardait d'avoir quelqu'un avec qui je pusse maudire les projets d'amusement et les parties de campagne, les gens du monde et les jolies femmes.
--Eh bien! vous les maudirez seule, car, en ce moment, je les b��nis du fond de l'ame.
Et L��once, pench�� sur le bord de la fen��tre o�� s'accoudait Sabina, fut tent�� de prendre une de ses belles mains blanches; mais l'air tranquillement railleur de cette noble personne l'en emp��cha, et il se contenta d'attacher sur son bras superbe, que le burnous laissait �� demi nu, un regard tr��s-significatif.
--L��once, r��pondit-elle en croisant son burnous avec une grace d��daigneuse, si vous me dites des fadeurs, je vous ferme ma fen��tre au nez et je retourne dormir. Rien ne fait dormir comme l'ennui; je l'��prouve surtout depuis quelque temps, et je crois que si cela continue, je n'aurai plus d'autre parti �� prendre que de consacrer ma vie �� l'entretien de ma fra?cheur et de mon embonpoint, comme fait la duchesse. Mais tenez, soyez aimable, et appliquez-vous, de votre c?t��, �� entretenir votre esprit et votre bon go?t accoutum��s. Si vous voulez me promettre d'observer nos conventions, nous pouvons passer la matin��e plus agr��ablement que nous ne l'eussions fait avec cette brillante soci��t��.
--Qu'�� cela ne tienne! Sortez de votre sanctuaire et venez voir lever le soleil dans le parc.
--Oh, le parc! il est joli, j'en conviens, mais c'est une ressource que je veux me conserver pour les jours o�� j'ai d'ennuyeuses visites �� subir. Je les prom��ne, et je jouis de la beaut�� de cette r��sidence, au lieu d'��couter de sots discours que j'ai pourtant l'air d'entendre. Voil�� pourquoi je ne veux pas me blaser sur les agr��ments de ce s��jour. Savez-vous que je regrette beaucoup de l'avoir lou�� pour trois mois? il n'y a que huit jours que j'y suis, et je m'ennuie d��j�� mortellement du pays et du voisinage.
--Grand merci! dois-je me retirer?
--Pourquoi feindre cette susceptibilit��? Vous savez bien que je vous excepte toujours de mon anath��me contre le genre humain. Nous sommes de vieux amis, et nous le serons toujours, si nous avons la sagesse de persister �� nous aimer mod��r��ment comme vous me l'avez promis.
--Oui, le vieux proverbe: ?s'aimer peu �� la fois, afin de s'aimer longtemps.? Mais voyons, vous me promettez une bonne matin��e, et vous me menacez de fermer votre fen��tre au premier mot qui vous d��plaira. Je ne trouve pas ma position agr��able, je vous le d��clare, et je ne respirerai �� l'aise que quand vous serez sortie de votre forteresse.
--Eh bien, vous allez me donner une heure pour m'habiller; pendant ce temps, on vous servira un d��jeuner sous le berceau. J'irai prendre le th�� avec vous, et puis nous imaginerons quelque chose pour passer gaiement la matin��e.
--Voulez-vous m'entendre, Sabina? laissez-moi imaginer tout seul, car, si vous vous en m��lez, nous passerons la journ��e, moi �� vous proposer toutes sortes d'amusements, et vous �� me prouver qu'ils sont tous stupides et plus ennuyeux les uns que les autres. Croyez-moi, faites votre toilette en une demi-heure, ne d��jeunons pas ici, et laissez-moi vous emmener o�� je voudrai.
--Ah! vous touchez la corde magique, l'inconnu! Je vois, L��once, que vous seul me comprenez. Eh bien, oui, j'accepte; enlevez-moi et partons.
Lady G... pronon?a ces derniers mots avec un sourire et un regard qui firent frissonner L��once.--O la plus froide des femmes! s'��cria-t-il avec un enjouement m��l�� d'amertume, je vous connais bien, en effet, et je sais que votre unique passion, c'est d'��chapper aux passions humaines. Eh bien! votre froideur me gagne, et je vais oublier tout ce qui pourrait me distraire du seul but que nous avons �� nous proposer, la fantaisie!
--Vous m'assurez donc que je ne m'ennuierai pas aujourd'hui avec vous?
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