des 
discours vertueux. Du moins est-il certain que Méla pensait hautement. 
Il répondit à son frère que, sans être versé comme lui dans les affaires 
publiques, il avait eu sujet d'admirer la puissance et la sagesse des
Romains. 
--Elles se montrent, dit-il, jusqu'au fond de notre Espagne. Mais c'est 
dans une gorge sauvage des monts thessalien que j'ai le mieux senti la 
majesté bienfaisante de l'Empire. Je venais d'Hypathe, ville célèbre par 
ses fromages et ses magiciennes, et j'avais chevauché pendant quatre 
heures dans la montagne sans rencontrer un visage humain. Vaincu par 
la fatigue et la chaleur, j'attachai mon cheval à un arbre peu éloigné de 
la route et m'étendis sous un buisson d'arbouses. Je m'y reposais depuis 
quelques instants quand je vis passer un maigre vieillard chargé de 
ramée et fléchissant sous le faix. A bout de forces, il chancela et, près 
de tomber, s'écria: «César!» En entendant cette invocation monter de la 
bouche d'un pauvre bûcheron dans un désert de rochers, mon coeur 
s'emplit de vénération pour la Ville tutélaire, qui inspire jusque dans les 
pays les plus écartés, aux âmes les plus agrestes, une telle idée de sa 
providence souveraine. Mais à mon admiration se mêlèrent, ô mon 
frère, la tristesse et l'inquiétude, quand je songeai à quels dommages, à 
quelles offenses, par la folie des hommes et les vices du siècle, étaient 
exposés l'héritage d'Auguste et la fortune de Rome. 
--J'ai vu de près, mon frère, lui répondit Gallion, ces crimes et ces folies 
dont tu t'affliges. Assis au Sénat, j'ai pâli sous le regard des victimes de 
Caïus. Je me suis tu, ne désespérant pas de voir des jours meilleurs. Je 
crois que les bons citoyens doivent servir la république sous les 
mauvais princes plutôt que d'échapper à leurs devoirs par une mort 
inutile. 
Comme Gallion prononçait ces paroles, deux hommes encore jeunes, 
portant la toge, s'approchèrent de lui. L'un était Lucius Cassius, d'une 
maison plébéienne, mais ancienne et décorée, originaire de Rome. 
L'autre, Marcus Lollius, fils et petit-fils de consulaires et toutefois 
d'une famille équestre, sortie du municipe de Terracine. Ils avaient tous 
deux fréquenté les écoles d'Athènes et acquis une connaissance des lois 
de la nature à laquelle les Romains qui n'étaient pas allés en Grèce 
demeuraient tout à fait étrangers. 
A cette heure ils se formaient à Corinthe au maniement des affaires 
publiques, et le proconsul les tenait à ses côtés comme un ornement à
sa magistrature. Un peu en arrière, vêtu du manteau court des 
philosophes, le front chauve et le menton garni d'une barbe socratique, 
le grec Apollodore marchait avec lenteur, un bras levé et remuant les 
doigts en disputant avec lui-même. 
Gallion fit à tous trois un accueil bienveillant. 
--Déjà les roses du matin ont pâli, dit-il, et le soleil commence à darder 
ses flèches acérées. Venez, amis! Ces ombrages nous verseront la 
fraîcheur. 
Et il les mena, le long d'un ruisseau dont le murmure conseillait les 
tranquilles pensées, jusque dans une enceinte d'arbustes verts au milieu 
de laquelle un bassin d'albâtre se croisait, plein d'une eau limpide où 
flottait une plume de la colombe qui venait de s'y baigner et qui 
maintenant modulait sa plainte dans le feuillage. Ils s'assirent sur un 
banc de marbre qui s'étendait en demi-cercle, soutenu par des griffons. 
Les lauriers et les myrtes y mariaient leurs ombres. Tout autour de 
l'enceinte arrondie s'élevaient des statues. Une Amazone blessée 
entourait mollement sa tête de son bras replié. Sur son beau visage la 
douleur paraissait belle. Un Satyre velu jouait avec une chèvre. Une 
Vénus, au sortir du bain, essuyait ses membres humides sur lesquels on 
croyait voir courir un frisson de plaisir. Près d'elle un jeune Faune 
approchait en souriant une flûte de ses lèvres. Son front était à demi 
caché par les branches, mais son ventre poli brillait entre les feuilles. 
--Ce Faune semble respirer, dit Marcus Lollius. On dirait qu'un souffle 
léger soulève sa poitrine. 
--Il est vrai, Marcus. On attend qu'il tire de sa flûte des sons agrestes, 
dit Gallion. Un esclave grec l'a sculpté dans le marbre d'après un 
modèle ancien. Les Grecs excellaient autrefois à faire ces bagatelles. 
Plusieurs de leurs ouvrages en ce genre sont justement célèbres. On ne 
peut le nier: ils ont su donner aux dieux un visage auguste et exprimer 
sur le marbre ou l'airain la majesté des maîtres du monde. Qui n'admire 
le Jupiter Olympien de Phidias? Et pourtant qui voudrait être Phidias? 
--Certes aucun Romain ne voudrait être Phidias, s'écria Lollius, qui
dépensait l'immense héritage de ses pères à faire venir de Grèce et 
d'Asie les ouvrages de Phidias et de Myrrhon, dont il ornait sa villa du 
Pausilippe. 
Lucius Cassius partageait cet avis. Il soutint avec force que les mains 
d'un homme libre n'étaient pas faites pour manier le ciseau du sculpteur 
ou le    
    
		
	
	
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