Stello | Page 3

Alfred de Vigny
sous lequel va se blottir mon ame pour se contempler et se conna?tre, s'il se peut, pour g��mir et pour prier, pour s'��blouir int��rieurement avec des tableaux purs comme ceux de Rapha?l au nom d'ange, color��s comme ceux de Rubens au nom rougissant (miraculeuse rencontre!). C'��tait l�� que mon ame apais��e trouvait mille po��tiques illusions dont je tra?ais de mon mieux le souvenir sur du papier, et voil�� que cet asile est encore attaqu�� par ces infernales et invisibles puissances! Redoutables enfants du chagrin, que vous ai-je fait?--Laissez-moi, d��mons glac��s et agiles, qui courez sur chacun de mes nerfs en le refroidissant et glissez sur cette corde comme d'habiles danseurs! Ah! mon ami, si vous pouviez voir sur ma t��te ces impitoyables Farfadets, vous concevriez �� peine qu'il me soit possible de supporter la vie. Tenez, les voil�� tous �� pr��sent r��unis, amoncel��s, accumul��s sur la bosse de l'Esp��rance. Qu'il y a longtemps qu'ils travaillent et labourent cette montagne, jetant au vent ce qu'ils en arrachent! H��las! mon ami, ils en ont fait une vall��e si creuse, que vous y logeriez la main tout enti��re."
En pronon?ant ces derni��res paroles, Stello baissa la t��te et la mit dans ses deux mains. Il se tut, et soupira profond��ment.
Le Docteur demeura aussi froid que peut l'��tre la statue du Czar, en hiver, �� Saint-P��tersbourg, et dit:
"Vous avez les Diables-bleus, maladie qui s'appelle en anglais Blue-devils."

CHAPITRE III
CONS��QUENCES DES DIABLES-BLEUS
Stello reprit d'une voix basse:
"Il s'agit de me donner de graves conseils, ? le plus froid des docteurs! Je vous consulte comme j'aurais consult�� ma t��te hier soir, quand je l'avais encore; mais, puisqu'elle n'est plus �� ma disposition, il ne me reste rien qui me garantisse des mouvements violents de mon coeur; je le sens afflig��, bless��, et tout pr��t, par d��sespoir, �� se d��vouer pour une opinion politique et �� me dicter des ��crits dans l'int��r��t d'une sublime forme de gouvernement que je vous d��taillerai...
--Dieu du ciel et de la terre! s'��cria le Docteur-Noir en se levant tout �� coup, voyez jusqu'�� quel degr�� d'extravagance les Diables-bleus et le d��sespoir peuvent entra?ner un Po��te!"
Puis il se rassit; il remit sa canne entre ses jambes avec une fort grande gravit��, et s'en servit pour suivre les lignes du parquet, comme s'il e?t g��om��triquement mesur�� ses carr��s et ses losanges. Il n'y pensait pas le moins du monde, mais il attendait que Stello pr?t la parole. Apr��s cinq minutes d'attente, il s'aper?ut que son malade ��tait tomb�� dans une distraction compl��te, et il l'en tira en lui disant ceci:
"Je veux vous conter..."
Stello sauta vivement sur son canap��.
"Votre voix m'a fait peur, dit-il; je me croyais seul.
--Je veux vous conter, poursuivit le Docteur, trois petites anecdotes qui vous seront d'excellents rem��des contre la tentation bizarre qui vous vient de d��vouer vos ��crits aux fantaisies d'un parti.
--H��las! h��las! soupira Stello, que gagnerons-nous �� comprimer ce beau mouvement de mon coeur?
--Il vous y enfoncera plus avant, dit le Docteur.
--Il ne peut que m'en tirer, reprit Stello, car je crains fortement que le m��pris ne m'��touffe un matin.
--M��prisez, mais n'��touffez pas, reprit l'impassible Docteur; s'il est vrai que l'on gu��risse par les semblables, comme les poisons par les poisons m��mes, je vous gu��rirai en rendant plus complet le mal qui vous tient. ��coutez-moi.
--Un moment! s'��cria Stello; faisons nos conditions sur la question que vous allez traiter et la forme que vous comptez prendre.
"Je vous d��clare d'abord que je suis las d'entendre parler de la guerre ��ternelle que se font la Propri��t�� et la Capacit��; l'une, pareille au dieu Terme et les jambes dans sa gaine, ne pouvant bouger, regardant en piti�� l'autre, qui porte des ailes �� la t��te et aux pieds, et voltige autour d'elle au bout d'un fil, souffletant sans cesse sa froide et orgueilleuse ennemie. Quel philosophe me dira jamais laquelle des deux est la plus insolente? Pour moi, je jurerais que la plus b��te est la premi��re, et la plus sotte la seconde. --Voyez donc comme notre monde social a bonne grace �� se balancer si mollement entre deux p��ch��s mortels: l'Orgueil, p��re de toutes les D��mocraties possibles!
"Ne m'en parlez donc pas, s'il vous pla?t; et quant �� la Forme, ah! Seigneur, faites que je ne la sente pas, s'il vous est possible, car je suis bien las des airs qu'elle se donne. Pour l'amour de Dieu, prenez donc une forme futile, et contez-moi (si vos contes sont votre rem��de universel), contez-moi quelque histoire bien douce, bien paisible, qui ne soit ni chaude ni froide: quelque chose de modeste, de ti��de et d'affadissant, comme le Temple de Gnide, mon ami! quelque tableau couleur de rose et gris, avec des guirlandes de mauvais go?t; des guirlandes surtout, oh! force guirlandes, je vous en supplie! et une grande quantit�� de nymphes, je vous en conjure! de nymphes aux
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 80
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.