infâme. Ils veulent t'enseigner 
que le premier des biens c'est l'intempérance et l'oisiveté, que pour s'y 
livrer en paix il faut tout avilir, tout sacrifier, dépouiller tout souvenir 
de grandeur, tuer tout noble instinct. Ils veulent t'enseigner la haine 
hypocrite, la vengeance patiente, la couardise et la férocité. Ils veulent
que ton âme meure pour avoir été nourrie de miel, pour avoir aimé la 
douceur et l'innocence. Ils veulent, en un mot, faire de toi un moine. 
Voilà ce qu'ils veulent, mon fils: voilà ce qu'ils ont entrepris, voilà ce 
qu'ils poursuivent d'un commun accord, les uns par calcul, les autres 
par instinct, les meilleurs par faiblesse, par obéissance et par crainte. 
--Qu'entends-je? m'écriai-je, et dans quel monde d'iniquité faites-vous 
entrer mon âme tremblante! Père Alexis! père Alexis! dans quel abîme 
serais-je tombé, s'il en était ainsi! O ciel! ne vous trompez-vous point? 
N'êtes-vous point aveuglé par le souvenir de quelque injure personnelle? 
Ce monastère n'est-il habité que par des moines prévaricateurs? Dois-je 
chercher parmi des âmes plus sincères la foi et la charité qu'un impur 
démon semble avoir chassées de ces murs maudits? 
--Tu chercherais en vain un couvent moins souillé et des moines 
meilleurs; tous sont ainsi. La foi est perdue sur la terre, et le vice est 
impuni. Accepte le travail et la douleur; car vivre, c'est travailler et 
souffrir. 
--Je le veux, je le veux! mais je veux semer pour recueillir. Je veux 
travailler dans la foi et dans l'espérance; je veux souffrir selon la charité. 
Je fuirai cet abominable réceptacle de crimes; je déchirerai cette robe 
blanche, emblème menteur d'une vie de pureté. Je retournerai à la vie 
du monde, ou je me retirerai dans une thébaïde pour pleurer sur les 
fautes du genre humain et me préserver de la contagion... 
--C'est bien, me dit le père Alexis en prenant dans ses mains mes mains 
que je tordais avec désespoir, j'aime ce mouvement d'indignation et cet 
éclair du courage. J'ai connu ces angoisses, j'ai formé ces résolutions. 
Ainsi j'ai voulu fuir, ainsi j'ai désiré de vivre parmi les hommes du 
siècle, ou de m'enfermer dans des cavernes inaccessibles; mais écoute 
les conseils que l'Esprit m'a donnés aux temps de mon épreuve, et 
grave-les dans ta mémoire: 
«Ne dis pas: Je vivrai parmi les hommes, et je serai le meilleur d'entre 
eux; car toute chair est faible, et ton esprit s'éteindra comme le leur 
dans la vie de la chair. 
«Ne dis pas non plus: je me retirerai dans la solitude et j'y vivrai de 
l'esprit; car l'esprit de l'homme est enclin à l'orgueil, et l'orgueil 
corrompt l'esprit. 
«Vis avec les hommes qui sont autour de toi. Garde-toi de leur malice. 
Cherche ta solitude au milieu d'eux. Détourne les yeux de leur iniquité,
regarde en toi-même, et garde-toi de les haïr autant que de les imiter. 
Fais-leur du bien dans le temps présent en ne leur fermant ni ton coeur 
ni ta main. Fais-leur du bien dans leur postérité en ouvrant ton esprit à 
la lumière de l'Esprit. 
«La vie du siècle, débilite, la vie du désert irrite. 
«Quand un instrument est exposé aux intempéries des saisons, les 
cordes se détendent; quand il est enfermé sans air dans un étui, les 
cordes se rompent. 
«Si tu écoutes le sens des paroles humaines, tu oublieras l'Esprit, et tu 
ne pourras plus le comprendre. Mais si tu ne laisses venir à toi les sons 
de la voix humaine, tu oublieras les hommes, et tu ne pourras plus les 
enseigner.» 
En récitant ces versets d'une Bible inconnue le père Alexis tenait ouvert 
le livre que j'avais vu déjà entre ses mains, et il tournait les pages pour 
les consulter, comme s'il eût aidé sa mémoire d'un texte écrit; mais les 
pages de ce livre étaient blanches, et ne paraissaient pas avoir jamais 
porté l'empreinte d'aucun caractère. 
Ce fait bizarre réveilla mes inquiétudes, et je commençai à l'observer 
avec curiosité. Rien dans son aspect n'annonçait en ce moment 
l'égarement, ou seulement l'exaltation. Il referma doucement son livre, 
et me parlant avec calme: 
«Garde-toi donc, me dit-il en commentant son texte, de retourner au 
monde; car tu es un faible enfant, et si le vent des passions venait à 
souffler sur toi, il éteindrait le flambeau de ton intelligence. La 
concupiscence et la vanité ne te trouveraient peut-être pas assez fort 
pour résister à leur aiguillon. Quant à moi, j'ai fui le monde, parce que 
j'étais fort, et que les passions eussent changé ma force en fureur. 
J'aurais surmonté la présomption et terrassé la luxure; j'aurais 
succombé sous les tentations de l'ambition et de la haine; j'aurais été 
dur, intolérant, vindicatif, orgueilleux, c'est-à-dire égoïste. Nous 
sommes faits l'un et l'autre pour le cloître. Quand un homme a entendu 
l'esprit l'appeler, ne fût-ce qu'une fois et faiblement, il doit tout quitter 
pour le suivre,    
    
		
	
	
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