la même chose; allez sur la place del 
Popolo.» 
Je me suis rendue au Colysée en mémoire de vous. Le côté d'où l'on 
peut le croire entier suffit pour faire estimer parfaitement sa grandeur, 
et cette ruine est encore une des plus belles choses qu'on puisse voir; le 
ton de ses pierres, les effets que la végétation y a semés partout, en font 
un monument admirable pour la peinture. Je ne puis concevoir 
comment il a pu vous venir l'idée si hasardeuse de grimper jusqu'au 
faîte pour l'unique plaisir d'y planter une croix? La raison se refuse à le 
croire. Je dois vous dire, au reste, que cette croix est restée, et que votre 
adresse et votre courage sont devenus historiques, car on en parle 
encore à Rome. 
J'ai été voir Angelica Kaufmann, que j'avais un extrême désir de 
connaître. Je l'ai trouvée bien intéressante, à part son talent, par son 
esprit et ses connaissances. C'est une femme qui peut avoir cinquante 
ans, très délicate, sa santé s'étant altérée par suite du malheur qu'elle 
avait eu d'épouser d'abord un aventurier qui l'avait ruinée. Elle s'est 
remariée depuis à un architecte qui est pour elle un homme d'affaires. 
Elle a causé avec moi beaucoup et très bien, pendant les deux soirées 
que j'ai passées chez elle. Sa conversation est douce; elle a 
prodigieusement d'instruction, mais aucun enthousiasme, ce qui, vu
mon peu de savoir, ne m'électrisait pas. 
Angelica possède quelques tableaux des plus grands maîtres, et j'ai vu 
chez elle plusieurs de ses ouvrages: ses esquisses m'ont fait plus de 
plaisir que ses tableaux, parce qu'elles sont d'une couleur titianesque. 
J'ai été dîner hier avec elle chez notre ambassadeur, le cardinal de 
Bernis, à qui j'avais fait une visite trois jours après mon arrivée. Il nous 
a placées toutes deux à table à côté de lui. Il avait invité plusieurs 
étrangers et une partie du corps diplomatique, en sorte que nous étions 
une trentaine à cette table, dont le cardinal a fait les honneurs 
parfaitement, tout en ne mangeant lui-même que deux petits plats de 
légumes. Mais voilà le plaisant: ce matin on me réveille à sept heures 
en m'annonçant la famille du cardinal de Bernis. Je suis bien saisie, 
comme vous imaginez! Je me lève, toute essoufflée, et je fais entrer. 
Cette famille était cinq grands laquais en livrée qui venaient me 
demander la buona mano. On m'expliqua que c'était pour boire. Je les 
congédiai en leur donnant deux écus romains. Vous concevez toutefois 
mon étonnement, n'étant pas instruite de cet usage. 
Voilà, mon ami, une énorme lettre; mais j'avais besoin de causer avec 
vous. Rappelez-moi à ce qui reste à Paris de mes amis et de mes 
connaissances. Comment va notre cher abbé Delille? Parlez-lui de moi, 
ainsi qu'à la marquise de Grollier, à Brongniart, à ma bonne amie 
madame de Verdun. Hélas! quand vous reverrai-je tous! Adieu. 
Comme je ne pouvais rester dans le très petit appartement que 
j'occupais à l'Académie de France, il me fallut chercher un logement. Je 
regrettais fort peu celui que je quittais, attendu qu'il donnait sur une 
petite rue dans laquelle les voitures des étrangers remisaient à toute 
heure de nuit. Les chevaux, les cochers, faisaient un train infernal; en 
outre, il se trouvait une madone au coin de cette rue, et les Calabrois, 
dont sans doute elle était la sainte, venaient chanter et jouer de la 
musette devant sa niche jusqu'au jour. À vrai dire, il m'était assez 
difficile de trouver à me loger, attendu l'extrême besoin que j'ai de 
sommeil et le calme environnant qui m'est absolument nécessaire pour 
dormir. J'allai d'abord occuper un logement ment sur la place d'Espagne, 
chez Denis, le peintre de paysage; mais, toutes les nuits, les voitures ne
cessaient point d'aller et de venir sur cette place, où logeait 
l'ambassadeur d'Espagne. De plus, une foule de gens des diverses 
classes du peuple s'y réunissait, quand j'étais au lit, pour chanter en 
choeur des morceaux que les jeunes filles et les jeunes garçons 
improvisaient d'une manière charmante, il est vrai, car la nation 
italienne semble avoir été créée pour faire de bonne musique; mais ce 
concert habituel, qui m'aurait enchantée le jour, me désolait la nuit. Il 
m'était impossible de reposer avant cinq heures du matin. Je quittai 
donc la place d'Espagne. 
J'allai louer près de là, dans une rue fort tranquille, une petite maison 
qui me convenait parfaitement, où j'avais une charmante chambre à 
coucher, toute tendue en vert, avantage dont je me félicitai beaucoup. 
J'avais visité toute la maison depuis le haut jusqu'en bas; j'avais même 
examiné les cours des maisons voisines sans rien apercevoir qui pût 
m'inquiéter. Je pensai donc ne pouvoir entendre d'autre bruit que le 
bruit bien léger d'une petite fontaine placée dans la cour, et dans mon 
enchantement, je m'empresse de payer le    
    
		
	
	
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