et coudoyé pendant dix 
ans, rêvant à ses côtés, parlant sa langue, vêtu de son burnous, 
mangeant à son plat de bois, montant ses chevaux, aimant ses filles, 
vivant de sa vie enfin, dans la montagne on dans la plaine, sous le 
gourbi du kabyle, la tente du bédoin, la maison du hadar et bien 
souvent sous le ciel étoilé. 
[Note 1: C'est sous ce titre que ces études ont été publiées dans le 
Réveil.] 
 
II 
LES PREMIERS KROUMIRS 
I 
Il y a de cela bien des années, mais le souvenir en est encore vivant 
dans ma mémoire, car de là, peut-être, datent nos premières aventures 
avec les Kroumirs.
Nous occupions avec notre smala, le bordj d'El-Meridj, récemment bâti 
sur la frontière de Tunisie, à douze lieues au nord-est de Tebessa et à 
une portée de fusil d'un affluent de l'Oued Mellegue, l'Oued Hohrirh. 
Cette rivière, profondément encaissée dans un lit inégal, effrité, 
crayeux, bordé de lauriers roses, nous séparait de la grande plaine qui 
s'étend du Keff à Galah et où sont semés les douars tunisiens des Ouled 
Sebira et des Beni Merzem. 
Quelque temps auparavant, les Chéaias, fraction des Kroumirs, 
descendirent jusque-là avec leurs tentes et leurs troupeaux, fuyant 
devant les collecteurs du bey, qui appuyés de toute une armée, 
s'abattaient sur eux ainsi qu'un ouragan et les laissaient nus et 
dépouillés comme un champ d'orge après le passage d'une nuée de 
sauterelles. Il arriva que, pour leur échapper, ils traversèrent la frontière: 
mais ils tombèrent au milieu de nos goums, qui, gardiens vigilants de 
notre territoire, les razzièrent sans merci. 
Alors, n'ayant plus ni troupeaux, ni tentes, ni grains, ces gens, 
poursuivis d'un côté et pillés de l'autre, usèrent de représailles. 
Il y eut de nombreuses incursions et de nombreuses escarmouches entre 
les tribus limitrophes. Algériens et Tunisiens passaient tour à tour la 
frontière, razziant moutons, boeufs, chameaux, chevaux et à l'occasion 
filles et femmes. Chaouias ou Chéaias, également pillards, également 
pauvres, également braves, échangeaient les mêmes horions. 
Le bordj d'El-Meridj, que venait de faire construire le général 
Desveaux, commandant de la province de Constantine, sur 
l'emplacement indiqué par le colonel de spahis Flogny, commandant 
supérieur du cercle de Tebessa, eut précisément pour objet de pacifier 
cette partie de la frontière, en mettant fin à ces mutuelles querelles et à 
ces pillages réciproques. 
Mais le but ne fut pas du premier coup atteint et, séparés seulement de 
la Régence, par une rivière, guéable en été, en plus d'un point, nous 
fûmes nous-mêmes longtemps exposés aux entreprises audacieuses des 
maraudeurs tunisiens.
En outre, les tribus que nous venions protéger et que notre présence 
empêchait d'exercer des représailles adressaient, au commandant du 
cercle, des plaintes continuelles sur les brigandages dont elles se 
disaient victimes de la fraction des Kroumirs razziée par elle jadis. 
Aux Kroumirs, du reste, on imputait tout méfait, tant leur réputation 
était mauvaise. 
Rapines des Béni Merzem, des Ouled Sebira, des Ouled Embarkem, 
étaient pour nous actes de Kroumirs. Tous les voleurs de la frontière, 
quel que fût leur tribu, nous les confondions sous ce nom générique. 
Les plaintes devinrent telles que le commandant de la smala, le 
capitaine F..., reçut l'ordre de faire battre jour et nuit la campagne par 
des patrouilles de spahis, chargées d'arrêter tout indigène porteur 
d'armes. 
Or, comme les Arabes, surtout ceux des frontières, ne s'engagent jamais 
par les chemins, sans un fusil à l'épaule et un flissa à la ceinture, les 
silos du bordj furent bientôt gorgés de prisonniers. 
On les expédiait par fournées au bureau arabe de Tebessa qui, après un 
interrogatoire forcément sommaire, les relâchait ou les dirigeait sur 
Constantine. 
Comme de coutume, de pacifiques laboureurs de la plaine allèrent 
pourrir dans les prisons de la province ou furent envoyés au bagne de 
Cayenne, et des rôdeurs de route, bandits de profession, furent reconnus 
purs de toute iniquité, car nos patrouilles ne tardèrent pas à prendre en 
flagrant délit de brigandage, des Kroumirs déjà arrêtés par elles et 
relâchés par le bureau arabe. 
Le commandant de la smala se plaignit; on lui répondit aigrement que 
c'était à lui d'aviser; que, chargé spécialement de maintenir la paix dans 
les tribus de la frontière, il était responsable de ce qui arriverait. 
Aussi, fatigué des récriminations d'une part, des reproches de l'autre, 
fatigué surtout des vols incessants, il prit le parti de rendre lui-même la
justice comme cela se pratiquait depuis la conquête dans tous les postes 
isolés, et comme le général Négrier, dont le nom est encore l'effroi des 
Arabes, la rendait lui-même à la face du soleil, sur la place de la Brèche, 
à Constantine, par le sabre de son chaouch Braham[2]. 
[Note 2: Ce chaouch dont je parle dans «l'Homme qui tue» et que je 
connus au 1er escadron du 3e spahis, coupa, de son propre aveu, plus 
de 2,    
    
		
	
	
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