Sixtine

Remy de Gourmont
Sixtine

The Project Gutenberg EBook of Sixtine, by Remy de Gourmont This
eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no
restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
under the terms of the Project Gutenberg License included with this
eBook or online at www.gutenberg.org
Title: Sixtine roman de la vie cérébrale
Author: Remy de Gourmont
Release Date: January 31, 2006 [EBook #17646]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK SIXTINE
***

Produced by Carlo Traverso, Eric Vautier and the Online Distributed
Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced
from images generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica)

SIXTINE
ROMAN DE LA VIE CÉRÉBRALE

par Rémy de Goncourt
... Status evanescentiæ. LEIBNIZ.

ALBERT SAVINE, ÉDITEUR PARIS 1890

A Villiers de l'Isle-Adam
In Memoriam.
«D'ailleurs, que nous importe même la justice!...»
Préface de LA RÉVOLTE.
19 août 1889.

I.--LES FEUILLES MORTES
«Lorsqu'elle fait ces sortes de chefs d'oeuvre, il est rare que la nature
les offre à l'homme qui saurait les apprécier et se trouverait digne de les
posséder.»
KANT, Essai sur le Beau, ch. III.
Sous les sombres sapins sexagénaires dont les branches s'alourdissaient
vers les pelouses jaunies, côte à côte ils allaient.
La comtesse Aubry, avec sa grâce de négociatrice d'amours mondaines,
venait de les joindre brusquement l'un à l'autre, tels que deux
prédestinés.
Ils se connaissaient un peu déjà. Ils se souvenaient de s'être entrevus,
l'hiver passé, dans le salon de l'avenue Marigny, ce réceptacle de toutes
les gloires en mal d'avortement, et, depuis huit jours que le château de
Rabodanges les hospitalisait, parmi quelques malades pleins de

distinction, ils avaient pu troquer, non sans pitié pour un si vain
commerce, quelques joailleries fausses, quelques mots d'une vague
luminosité.
L'un savait que Mme Sixtine Magne, veuve, n'avait tendu le col vers
aucun collier neuf,--le croyait.
L'autre savait que Hubert d'Entragues s'était voué par goût, non par
nécessité, au métier impérieux d'homme de lettres. Du premier
mouvement, elle l'eût estimé davantage capitaine de cavalerie, mais le
nom la séduisait, ce nom fané dans l'histoire au front d'une jolie femme
et qu'un jeune homme, sous ses yeux, restaurait en toute sa verdeur.
Amoureuses et royales réminiscences, le souvenir auriculaire lui en
était resté dans la tête comme un son de viole, comme un clapotis de
perlures sur des soies mourantes, et soudain des froissis d'acier,--aveu
où sa préciosité, peut-être, s'amusa, car elle était, par orgueil, très
dissimulée.
Entragues, de son côté, fut au moment de confesser à la jeune femme
qu'elle aveuglait son imagination, mais il eût fallu dire en même temps
l'origine, trop fantastique pour n'être pas futile, de cette blessure, et il
craignait d'avoir l'air d'inventer une histoire.
«Puis, songeait-il, son esprit travaillerait, elle croirait me plaire,
s'efforcerait à des grâces voulues. L'expérience serait faussée. Je veux
savoir ce qu'il y a en elle, je veux pénétrer froidement dans les obscures
broussailles de ce bois sacré.»
Un homme et une femme, à l'âge des utiles mensonges, ne sont jamais,
face à face, ni froids, ni vrais. Hubert jugea très habile de prendre le
parti du naturel, mais où commence le naturel chez un être doté de
quelques âmes de rechange? Sixtine ne fut qu'à moitié dupe et, dès les
premiers mots, le laissa bien voir.
--Le retour, disait Entragues, en connaissez-vous toutes les émotions?
C'est torturant et délicieux. On arrive la nuit: si elle était là! On entre,
tout secoué, tout déséquilibré, et, dans le confus des pensées courtes, on
se dit: Si elle était là! Non, elle n'est pas là: la peur d'une subite douleur

a devancé la déception: est-ce que de pareilles joies adviennent, hors du
rêve? Elle n'est pas là: _il n'y a pas de danger_. Comment? Pas de
double tour? Une veilleuse! Elle est là?--Elle était là, couchée dans sa
robe de chambre rose; au bruit de la clef s'est levée, et, pieds nus,
cheveux défaits, pâlissante d'émoi, le baisait par toute la figure, au
hasard des yeux, lèvres, front, nez, barbe, le bras doucement enroulé au
cou, l'autre tremblant de ne savoir où se poser d'abord, et dans
l'intervalle criait, comme une hallucinée: «Te voilà! te voilà!» Puis se
reculait pour le regarder, semblait douter, disait: «C'est bien toi», et
câlinement se donnait en se couchant sur son épaule, se redonnait: «Je
suis à toi, toujours, comme avant!» Lui, éprouvait une excessive joie:
partir en laissant des larmes, trouver au retour le sourire, un être auquel
votre présence rend la vie, c'est un plaisir sérieux, ça, mêlé d'un peu de
cette vanité nécessaire: se sentir indispensable à quelqu'un. Vanité
spéciale où le mâle éprouve une despotique jouissance.
--Vous êtes attendu ainsi? demanda Sixtine.
--Qui? Moi? Non, mais cela pourrait être,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 88
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.