Simone | Page 3

Victor Tissot
m'attrapait, ma chère... Pousse un peu...
Là, je suis assise sur le mur.
Le fabricant de poupées voulut surprendre les chipeuses de lilas mais le
gravier craquant sous son pied, il n'aperçut que deux grands yeux noirs
sous un casque blond. Il entendit:
--Lâche tout, Berthe, voici le père Gosselet.

Il cria:
--Voleuses! Je saurai bien vous reconnaître à l'atelier.
Mais il ne songea pas à les poursuivre. Le temps d'ouvrir la porte
solidement cadenassée et les petites ouvrières seraient penchées sur leur
établi, bien sages, coiffant les poupées ou vermillonnant avec un
pinceau les lèvres exsangues en carton pâte. Pas respectueuses ces
gamines! Il n'était pour elles que le «père Gosselet».
Brusquement, il revint sur ses pas, la canne levée comme pour châtier
l'insolence de ces petites filles.
--Tant-Seulement!
--Monsieur!
--Je t'ai promis vingt francs d'augmentation, mon garçon. Ce n'est pas
tout.
Tant-Seulement, surpris, laissa tomber son sécateur et sourit large.
--Tant-Seulement, mes ouvrières viennent baguenauder dans la cour
sous toutes sortes de prétextes, puis elles grimpent sur le mur et cassent
des branches de lilas, le lilas de ma fille.
--Ah! monsieur, c'est des Parisiennes. Et les petites Parisiennes ça vous
a des nez de millionnaire, quasiment. Mais le lilas de mademoiselle,
vrai, ce n'est pas pour leurs museaux.
--Aux heures de rentrées et de sorties des ateliers, tu te cacheras le long
du mur. Tant Seulement. Tu seras armé d'une baguette et taperas sur les
menottes qui s'accrocheront aux dalles. Tu ne taperas pas trop fort, mon
garçon. Elles me feraient payer la casse. Connais-tu les polisseuses?
--Oh! presque toutes, monsieur. Il y a Fricassée, la Grande-Bobêche, la
Petite-Souris, Mouron-pour-les-petits-oiseaux, l'Embaumée... Ça
pourrait bien être l'Embaumée qui vous vole vos fleurs, monsieur.
Quand elle a une rose au corsage, elle n'a pas toujours deux sous de

petit-noir dans l'estomac... Il y a encore...
--Bien, cela suffit.
--C'est que je les connais bien, allez. Je les rencontre tous les soirs,
vraisemblablement, à la station des tramways... Ce qu'elle est fière,
cette l'Embaumée, malgré sa bosse!
--Pince les voleuses, Tant-Seulement, et à chaque prise tu toucheras
une prime de quarante sous.
--Mais si je cogne sur les doigts immédiatement, je ne verrai pas les
têtes, probablement.
--Prends le signalement et tape ensuite... mais pas trop fort.
--Bien, monsieur. Je connais le métier, je fais ça naturellement.
--Quel métier, mon garçon?
--Pincer les maraudeurs.
--Ah bast!
--Mais, certainement; en été, monsieur me donne congé le dimanche, je
vais soigner les rosiers du maire de Viroflay. Drôlement taillés les
rosiers du maire. Ils poussent tous comme des chardons et allongent la
tête par-dessus le mur de briques qui borde le chemin. Il passe là un tas
de jeunesses avec des ombrelles rouges et des petits rires qui sonnent
comme des cornets à piston, venues à la campagne pour manger des
pissenlits tout crus cueillis dans le fossé. Elles voient les roses, passent
les menottes par-dessus le mur. Et hop! les voilà prises. Je les maintiens
par le poignet pendant que le garde champêtre dresse procès-verbal. Si
elles sont accompagnées par des hommes, on leur fait payer une
amende. Quand elles sont seules, on plaisante un brin et elles griffent le
garde champêtre.
--Et que gagnes-tu à ce vilain métier, mon pauvre Tant-Seulement?

--Trois francs par jour, mais je ne touche pas à l'argent des Parisiens.
--Les amendes sont pour les pauvres? Tiens! ton maire a une façon bien
amusante de faire la charité!
--Oh! monsieur, je crois certainement que le maire partage l'argent avec
le garde champêtre.
--C'est juste! Tu vas gagner de jolies pièces de quarante sous, mon
garçon, puisque tu as déjà chassé aux maraudeurs.
--Sûrement, mais je n'ai pas le garde-champêtre pour m'aider. Enfin je
vous dirai le nom des voleuses. Je pense que Mlle l'Embaumée a déjà
son corsage tout plein fleuri de votre lilas.
* * * * *
Rassuré sur la conservation de ses arbustes, M. Gosselet se dirigea vers
son usine pour entretenir le petit Bamberg, le second ingénieur, sur un
perfectionnement apporté par lui, Gosselet, à l'invention des yeux de
rechange.
Le fabricant de poupées avait en effet imaginé de peindre sur les petites
sphères déjà illustrées de prunelles noire et de prunelles bleues, des
yeux bruns et verts, ce qui lui avait permis de lancer des réclames sur le
système oculaire «_inventé par l'ingénieux M. Gosselet_».
Assis devant son bureau, il parcourait les journaux qu'on lui avait
adressés pour la justification des annonces. Certaine feuille mondaine
consacrait à la découverte du fabricant un article, dit scientifique,
célébrant les mérites du «_patriotique inventeur qui, non content de
donner la parole aux poupées françaises, les dotait de jolies prunelles à
nuances changeant au gré des petites mamans. Cette découverte_,
continuait le journaliste, _permettra aux petites filles de créer une mode
de prunelles à l'usage des bébés en
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