longues lettres blanches: 
LE FANTOME! 
C'était la réponse, la seule réponse que le capitaine avait jugé à propos 
de faire à l'Anglais qui venait de lui dire qu'il ne devait pas avoir peur. 
A la vue de ce nom si connu, de ce mot qui à lui seul était une 
révélation pour tous les marins, les matelots du Mascarenhas s'écrièrent: 
C'est le Capitaine-Noir! c'est le Capitaine-Noir! Et les regards des 
passagers, remplis d'une avide curiosité, s'attachent pour ne plus la 
quitter sur la mâle figure du commandant du Fantôme. 
Dès que le brick, après la légère arrivée qu'il venait de faire, eut repris 
la route qu'il tenait auparavant à côté du Mascarenhas, le capitaine 
anglais, remis un peu du trouble que lui avait causé l'apparition du 
Fantôme et de son redoutable commandant, renoua en ces termes et 
avec un reste d'émotion la conversation qu'il avait commencée quelques 
minutes auparavant:
--Commandant, je vous demande pardon d'avoir employé une 
expression qui a paru vous déplaire; mais je ne savais pas.... 
Le commandant du Fantôme, à ces mots, se contenta de faire un signe 
de tête négatif qui signifiait que l'expression du capitaine n'avait pu 
l'offenser. 
L'Anglais reprit, toujours avec la même altération de voix: 
--Mais je ne savais pas avoir l'honneur de parler au Capitaine-Noir. Je 
me félicite, au surplus, d'avoir rencontré, à la suite de tous mes 
malheurs, un homme aussi renommé par l'intrépidité de son caractère 
que par l'humanité de son coeur. 
--Finissons-en. De quoi avez-vous le plus besoin? 
--D'un chirurgien, commandant, et de quelques vivres un peu frais pour 
nos pauvres malades. 
--Mon chirurgien ne peut passer qu'une heure à votre bord: des vivres, 
vous allez en avoir. 
Un geste impérieux du Capitaine-Noir fit sortir comme par magie de 
l'entrepont, où se trouvaient rangés en silence ses matelots et ses 
officiers, neuf hommes qui, paraissant avoir deviné l'intention de leur 
chef, s'empressèrent de placer quelques barils et beaucoup de 
provisions dans un canot suspendu, le long du gaillard d'arrière, sur 
d'élégans montans en fer. 
A un autre signe du Capitaine-Noir, le navire se trouva mis en panne, et 
les neuf hommes laissèrent glisser, sans dire un seul mot, l'embarcation 
à la mer. 
Jamais les marins du Mascarenhas n'avaient encore vu une manoeuvre 
exécutée avec autant de promptitude, de précision et de silence. C'était, 
comme disaient les matelots, des ombres de canotiers qui paraissaient 
avoir mis à la mer une ombre d'embarcation. Jamais, selon eux, navire 
n'avait été mieux nommé que celui-là: LE FANTOME!!!
Le Mascarenhas, en voyant la manoeuvre faite par son voisin, mit 
comme lui en panne aussi bien et aussi vivement qu'il le put; mais 
quelle différence! c'était un lourd éléphant voulant imiter la légèreté de 
l'oiseau qui plane et se joue dans les airs. 
Le canot rapide du Fantôme élonge le grand navire; les huit matelots 
qui le montent relèvent d'un seul mouvement les huit avirons, avec 
lesquels semblent se jouer leurs vigoureuses mains; les provisions et les 
barils qu'ils ont l'ordre de livrer au capitaine anglais sont déposés sur le 
pont du bâtiment, sans que les marins qui les transportent osent franchir 
le plabord. Un seul homme monte à bord du Mascarenhas, c'est le 
chirurgien du Fantôme, qui a tenu la barre du gouvernail du canot 
pendant le court trajet qu'il a fallu faire pour se rendre de l'un à l'autre 
navire. 
A l'aspect de ce jeune et grave officier, la figure des malades s'épanouit, 
et une lueur d'espoir se laisse voir à travers la douleur qui contracte 
leurs traits décomposés. Les passagers et les matelots entourent 
l'étranger. C'est un dieu réparateur qui leur apporte un baume pour leurs 
plaies, une consolation pour toutes leurs souffrances. Il interroge, il 
examine, il ordonne. On l'écoute comme un oracle; on recueille ses 
moindres paroles comme des arrêts célestes; on devine chacun de ses 
gestes; on exécute chacun de ses ordres. La confiance renaît à sa voix, 
et l'oubli de tous les maux passés coule de ses lèvres dans les coeurs 
des malheureux qu'il ranime par la persuasion et par le besoin même 
qu'ils ont de croire à un avenir de bonheur, après toutes les angoisses 
qu'ils ont éprouvées, tous les supplices qu'ils ont subis.... 
Le capitaine anglais seul est inconsolable. Le médecin a déclaré en vain 
que l'épidémie ne présentait plus de danger pour la plupart des malades, 
et qu'avec les soins qu'il a prescrits leur rétablissement serait assuré, le 
malheureux capitaine sent trop, pour partager la joie commune, que le 
mal qui le dévore est sans remède. Le médecin, qui soupçonne et qui 
apprend le sujet de sa douleur profonde, ne peut lui offrir aucune 
consolation; mais il cherche du moins à lui témoigner une bienveillance 
affectueuse: c'est le seul moyen d'adoucir l'amertume des maux que 
rien ne peut guérir.
--Capitaine, lui dit-il, il ne me reste qu'un devoir    
    
		
	
	
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