nous trouverez samedi prochain, c'est-à-dire dans quatre 
jours, après la sortie du bal de l'Opéra, au café de Foy, où vous 
rencontrerez d'anciennes connaissances. 
«Pour ne pas effrayer l'assemblée, il serait peut-être convenable que 
vous ne vinssiez pas avec votre linceul. Quittez donc ce négligé 
mortuaire et mettez-vous à la mode des vivants. Pour des réunions du 
genre de celle où je vous convie, on s'habille volontiers de noir, avec 
des gants et un gilet blancs. Je vous rappelle ces détails au cas où vous 
les auriez oubliés dans l'autre monde, où les usages ne sont peut-être 
pas les mêmes que dans celui-ci, 
«Tout à vous, 
«Tristan.» 
 
III 
Pendant qu'Ulric de Rouvres se rend au rendez-vous que lui avait 
assigné Tristan, nous donnerons aux lecteurs quelques explications sur 
les événements qui avaient déterminé son suicide, si singulièrement 
avorté. 
Entré de bonne heure dans la vie, car il avait été mis en possession de 
sa fortune avant d'avoir atteint sa majorité, Ulric, ébloui d'abord par le 
soleil levant de sa vingtième année, et étourdi par le bruit que faisait ce 
monde où il était appelé à vivre, hésita un moment; et, comme un 
voyageur qui, mettant pour la première fois le pied sur un sol inconnu, 
craint de s'y égarer, il demanda un guide. 
Il s'en présenta cinquante pour un; car, ainsi qu'aux barrières des villes 
qui renferment des curiosités, on trouve aux portes du monde une foule 
de cicérones qui viennent bruyamment vous offrir leurs services. 
Ulric, ivre de liberté, voulut tout voir et tout savoir; nature ardente,
curieuse et impatiente, il aurait désiré pouvoir, dans une seule coupe et 
d'un seul coup, boire toutes les jouissances et tous les plaisirs. 
Il vit et il apprit rapidement; et, à vingt-quatre ans l'expérience lui avait 
signé son diplôme d'homme. 
L'esprit plein d'une science amère, le coeur changé en un cercueil qui 
renfermait les cendres de sa jeunesse, et l'âme encore tourmentée par 
d'insatiables désirs, il quitta ce monde où, quatre années auparavant, il 
était entré l'oeil souriant et le front levé, en lui jetant la malédiction 
désolée des fils d'Obermann et de René; et sinistre et lamentable, il s'en 
retourna grossir le nombre de ceux qui épanchent sur toutes choses 
leurs doutes amers ou leurs audacieuses négations. 
La brutale disparition d'Ulric fut accueillie dans la société par une 
banale accusation de misanthropie; et au bout de huit jours, on n'en 
parlait plus. 
De toutes ses anciennes connaissances d'autrefois, Tristan fut le seul 
avec qui Ulric conserva quelques relations. Un jour il vint le voir, et lui 
tint des discours qui ne laissèrent point de doute à Tristan sur les idées 
de suicide qui germaient déjà dans son esprit. 
--À vingt-quatre ans, c'est bien tôt, répondit Tristan; en tout cas vous 
me permettrez de ne pas vous accompagner. 
--Ah! c'est donc vrai ce qu'on m'avait dit sur vous? Vous êtes atteint du 
mal du siècle, vous aurez trop lu Faust et les esprits chagrins qui sont 
venus à sa suite. C'est plutôt l'influence de ces gens-là que tout le reste 
qui vous amène au bord de ce moyen extrême. Vous vous croyez mort, 
vous n'êtes qu'engourdi, mon cher! Quand on a trop couru on est 
fatigué, cela est naturel. Vous êtes dans une époque de repos; mais, 
demain ou après, vous jetterez par la fenêtre votre résolution funeste et 
vos pistolets anglais, ou vous en ferez cadeau à un pauvre diable de 
poète incompris, qui n'aura pour se guérir des misères de ce monde que 
le moyen extrême de s'en aller dans l'autre. 
J'ai été comme vous; plus d'une fois j'ai mis la clef dans la serrure de
cette porte qui donne sur l'inconnu; mais je suis revenu sur mes pas, et 
j'espère que vous ferez comme moi. Vous me répondrez que vous 
n'avez plus ni coeur ni âme, et qu'il vous est impossible de croire à rien. 
D'abord, on a toujours un coeur; et pourvu qu'il accomplisse sa fonction 
de balancier, on n'a pas besoin de lui en demander davantage. Quant à 
ce qui est de l'âme, c'est un mot pour l'explication duquel on a écrit 
dans toutes les langues un million de volumes, ce qui fait qu'on est 
moins fixé que jamais sur son existence et sa signification. L'âme est 
une rime à flamme, voilà ce qu'il y a de plus évident jusqu'ici. 
Pour ce qui touche les croyances, il en est de tellement naturelles qu'on 
ne peut jamais les perdre; on ne peut nier ce qu'on voit, ce qu'on touche 
et ce qu'on entend. À défaut de sentiments, on a toujours des sensations; 
et c'est n'être point mort que de posséder de bons yeux pour voir le 
soleil, des oreilles pour entendre la musique, et des mains pour les 
passer amoureusement dans la chevelure parfumée d'une femme, qui, à 
défaut    
    
		
	
	
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